Ils sont séduisants, courageux, intelligents, vertueux et patriotes. Ils maîtrisent plusieurs langues, semblent immortels: «ils», ce sont depuis quelques années les improbables héros du cinéma sud-coréen: les espions nord-coréens.

Hollywood les dépeint en terroristes sans pitié menaçant les États-Unis. Mais pour le cinéma sud-coréen, ce sont des hommes d'action dont les conflits intérieurs symbolisent le drame politique dont la péninsule coréenne est le théâtre depuis la fin de la guerre en 1953.

Les deux Corées sont toujours techniquement en conflit, soixante ans après la signature de l'armistice. Les tensions militaires se traduisent régulièrement par des confrontations meurtrières le long de la frontière hautement fortifiée.

Depuis des décennies, les deux pays missionnent des espions chargés d'assassiner des personnalités ou d'obtenir des secrets d'État de l'ennemi.

«Dénoncez les espions» fut longtemps un slogan utilisé par le gouvernement sud-coréen, placardé dans la rue et diffusé à la télévision.

Des récompenses étaient promises aux dénonciateurs et les enfants apprenaient à l'école à reconnaître un espion à son comportement ou à son accent.

En 1968, 30 commandos nord-coréens furent abattus au coeur de Séoul après qu'ils eurent secrètement traversé la frontière pour éliminer le président Park Chung-Hee.

Mais c'est «la diplomatie du rayon de Soleil», menée par la Corée du Sud de 1998 à 2008 pour encourager les contacts entre les deux frères ennemis, qui a encouragé les cinéastes sud-coréens à présenter les Nord-Coréens de façon plus empathique.

Hier agresseurs froids et maléfiques, ils endossent désormais le costume d'agents à visage humain, hantés par le régime sanguinaire dont ils sont les sicaires.

Ces films, qui, il y a vingt ans, auraient été impensables, connaissent un grand succès auprès des jeunes Sud-Coréens qui n'ont aucune mémoire des horreurs de la guerre.

Depuis 2010, une dizaine de ces productions ont été programmées dans les salles obscures en Corée du Sud, ou sont en cours de tournage, avec à l'affiche de grands acteurs.

Kim Ki-Duk, le réalisateur de Pieta, Lion d'or au festival de Venise, prépare actuellement Red Family (Famille Rouge) sur la vie d'un groupe d'espions passant pour une famille ordinaire du Sud.

Le Nord est une «inspiration idéale», souligne le critique Kim Sun-Yub. C'est un pays si mystérieux, si peu connu, que l'imagination se substitue souvent à la réalité.

La mort du dirigeant Kim Jong-il en décembre 2011 a aiguisé l'intérêt des cinéastes, affirme Jang Cheol-Soo, auteur de Secretly, Greatly qui a fait 6,9 millions d'entrées depuis sa sortie en juin. «C'est un sujet qui peut s'adapter à plusieurs genres - films d'action, thrillers, films d'amour et même des comédies».

Les jeunes premiers se disputent les rôles qu'ils auraient rejetés il y a quelques dizaines d'années pour ne pas risquer leur réputation.

Dans le film de Jang, le jeune espion nord-coréen passe pour l'idiot du village afin de se rapprocher de ses voisins, mais leur promiscuité finit par avoir raison de ses intentions assassines.

La popularité de tels films marque une quasi-révolution en Corée du Sud.

Auparavant, présenter des Nord-Coréens d'une façon même légèrement positive, ou leur donner l'apparence d'acteurs séduisants, était un délit sanctionné par la redoutable Loi sur la Sécurité Nationale.

Le cinéaste Lee Man-Hee en fit les frais en 1965, arrêté sous l'accusation d'avoir fait passer des soldats du Nord comme des «êtres humains capables de pitié et de compassion».

Les choses, depuis, ont radicalement changé. À l'extrême...

Le protagoniste du film Secretly, Greatly est incarné par l'un des plus acteurs les plus populaires du moment, Kim Soo-Hyun.

Pour Kim Sun-Yub, les nouveaux films d'espionnage ont tendance à «trop humaniser» les James Bond nord-coréens, à rebours des oeuvres anticommunistes des années 1970.

Jang récuse ces critiques. Selon lui, le jeune public est trop au fait de la réalité pour se laisser abuser.

Mais son homonyme Jang Ce-Yul, un ancien chef des armées nord-coréennes réfugiés au Nord en 2008, fustige des représentations totalement «imaginaires».

«Ces agents secrets sont surentraînés. Ils n'hésiteraient pas à tuer ceux qui découvriraient leur identité, que ce soit une fillette ou une vieille dame innocente», tranche-t-il.