Yann Martel a raison. Ang Lee, le cinéaste qui a porté L'histoire de Pi à l'écran, a respecté l'esprit du roman, comme on a pu le constater à l'avant-première, samedi, à Montréal, où le film était présenté au Festival du nouveau cinéma. Mais Lee apporte le son, et une dimension, la troisième, qui rendent l'odyssée du jeune Indien époustouflante et accessible à un jeune public de 7 à 77 ans. Blasés s'abstenir.

En 2001, quand il a publié Life of Pi, Yann Martel s'attendait, au mieux, à ce que son livre devienne un roman-culte auprès d'un public restreint. «Le mélange zoologie et religion ne va pas de soi», a-t-il dit au cours d'entrevues données à la chaîne aux journalistes qui formaient une sorte de haie d'honneur au cinéma Banque Scotia. Voilà qu'après avoir obtenu le Man Booker Prize en 2002, et après plus de sept millions d'exemplaires vendus en 40 langues, la version filmée s'annonce aussi populaire. Et promise, même, à quelques Oscars. Les prouesses techniques y sont éblouissantes, et la performance de la jeune vedette qui porte le film sur ses épaules, Suraj Sharma, remarquable. Celle de Richard Parker, le tigre, aussi...

Le romancier n'a pas participé à la scénarisation du film. Il a rencontré le réalisateur un soir, a fait quelques remarques sur l'anglais utilisé, qui devait selon lui sonner indien et non américain, puis il a lâché prise. «Je suis un romancier, a-t-il dit, je ne sais pas comment écrire un scénario.» Mais la transposition le réjouit. «Quand on lit le roman, on oublie sa dimension indienne. Dans le film, on la retrouve, très présente.» Bien sûr, admet-il, il y a des choses absentes. Mais ceux qui n'ont pas lu le livre ne s'en apercevront pas.

On a eu droit samedi à la version définitive de Life of Pi, achevée mardi, a expliqué Martel. Celle qui a été présentée au Festival de cinéma de New York était finie à 95%, et la critique l'a accueillie plutôt chaleureusement. Le film sera présenté bientôt à Chicago et sa sortie générale est prévue pour le 21 novembre. À temps pour les Fêtes.

L'histoire de Pi est celle d'un petit garçon né à Pondichéry qui passe son enfance dans le zoo que possède son père.

Pi souhaite pratiquer au moins trois religions. Mais la famille doit quitter l'Inde pour le Canada et embarque avec les animaux dans un cargo japonais qui fera naufrage. Pi finira par se retrouver seul à bord d'un canot de sauvetage en compagnie d'un tigre du Bengale qu'il devra dompter s'il veut survivre. Cette odyssée en mer forme la partie principale du film. Après avoir montré des images idylliques d'oiseaux et d'animaux qui se promènent joyeusement dans le zoo, et au-dessus de la tête des spectateurs grâce au 3D, on se retrouve dans l'enfer de la mer menaçante et déchaînée. Nous sommes submergés. D'émotions. Et de grandes questions existentielles devant l'immensité des cieux au-dessus de la mer. On en a le souffle coupé.

Le roman est différent. S'il a connu un aussi grand succès, ce n'est pas seulement pour l'esprit oecuménique qui y règne (et peut même en déranger certains), c'est aussi pour son côté encyclopédique. Yann Martel a dû faire des recherches considérables pour atteindre un résultat aussi intéressant. On en apprend autant sur les moeurs des animaux que sur les différences entre les religions. Sans oublier les notions d'histoire, de géographie, etc.

Un exemple: une scène du film nous montre Pi sur une île faite d'algues où il est accueilli par un million de suricates. Le roman prend quelques pages pour décrire les moeurs curieuses de cet animal qui ressemble à la belette. Le film les montre, sans explication. Mais quelle image, quand même!

L'histoire de Pi, d'Ang Lee, est le film à voir pendant les Fêtes avec les enfants. En France il portera le titre de L'odyssée de Pi. Et les vagues berceront ceux qui s'intéressent particulièrement aux effets spéciaux qui sont, ici, toujours justifiés. Le film incitera peut-être à lire, ou à relire, le roman de Yann Martel, que l'on vient tout juste de rééditer au Québec, chez XYZ. En attendant le prochain ouvrage de l'auteur, où il sera question du Portugal, nous a-t-il dit. Et, bien sûr, d'animaux.