Comme si le gouvernement québécois n'était pas suffisamment affaibli, voilà qu'un de ses chiens de garde vient de se mordre la queue.

Jacques Duchesneau, celui qui devait prémunir le ministère des Transports contre toute collusion entre gros entrepreneurs pour les ouvrages publics, est à son tour soupçonné d'avoir fait usage du stratagème des prête-noms lors de sa course à la mairie de Montréal en 1998.

 

Décidément, politique, financement et construction sont trois secteurs indissociables en cette joyeuse époque de scandales à gogo.

M. Duchesneau a nié, bien sûr, mais il se retire le temps de l'enquête sans exiger de rétractation ni menacer de poursuivre son accusateur. Cela ne veut pas dire qu'il est coupable, évidemment, mais il n'a offert hier aucun élément de preuve pour soutenir ses dénégations. Si vous voulez mon avis, il serait étonnant de voir M. Duchesneau revenir à la tête de l'unité anticollusion.

Plutôt embarrassant pour le gouvernement Charest: l'ancien chef de police de Montréal, qui dénonçait l'automne dernier la corruption en politique municipale, est arrivé en grande pompe à Québec (avec un salaire de plus de 200 000$) pour mettre de l'ordre dans les contrats accordés par le ministère des Transports.

C'est précisément en cette autre palpitante journée à l'Assemblée nationale qu'un obscur député libéral, André Drolet, est sorti de nulle part pour menacer Amir Khadir de fouiller dans son passé pour le coincer.

Ah oui, j'oubliais, le président de l'Union des municipalités du Québec, Marc Gascon, a démissionné de son poste. Des allégations touchent Saint-Jérôme, la ville dont il est le maire.

À part ça? Tout va bien, merci, rien pour appeler sa mère. Encore moins pour déclencher une enquête publique, selon le gouvernement Charest.

On évoque souvent les affres de la commission Gomery sur le Parti libéral du Canada pour expliquer l'entêtement de Jean Charest à ne pas déclencher, lui aussi, une enquête publique qui pourrait être dommageable à son parti.

C'est loin d'être farfelu comme analyse, mais cette logique sous-entend que les libéraux fédéraux s'en seraient beaucoup mieux sortis si Paul Martin n'avait pas ordonné une commission d'enquête.

Pas si sûr. La pression était forte aussi sur Paul Martin, rappelez-vous, et les partis de l'opposition étaient sur le sentier de la guerre, le couteau entre les dents, bien décidés à achever l'ennemi blessé.

De plus, après le rapport de la vérificatrice générale, le génie était sorti de la bouteille et tous les journalistes d'enquête étaient sur la piste des commandites.

Il serait vraisemblablement arrivé à Paul Martin ce qui est en train d'arriver à Jean Charest. Une longue, très longue série de mauvaises nouvelles et de révélations-chocs, égrainées dans le désordre le plus complet.

Enquête publique ou pas, le réseau libéral provincial est aussi ébranlé que l'était (et que l'est toujours) celui des cousins fédéraux. Le financement sera plus difficile, le recrutement de candidats-vedettes encore plus.

De plus, la mise au ban de Gilles Vaillancourt ne sera pas sans conséquence pour le PLQ. Le clan Vaillancourt, c'est un gros morceau à Laval. Incontournable, en politique, depuis trois décennies. Rappelez-vous que si Laval n'avait pas donné cinq députés libéraux à Jean Charest en 2007, nous aurions eu un gouvernement adéquiste minoritaire. La machine Vaillancourt est suffisamment puissante pour influencer le résultat d'élections cruciales.

Quand Charest aimait les enquêtes publiques

Paul Martin a payé pour sa décision de déclencher une enquête. Jean Charest paye pour son entêtement à ne pas le faire. Morale de l'histoire: il n'y a pas de solution miracle pour les gouvernements embourbés dans les sombres marais de fin de régime.

Il fut un temps pas si lointain, toutefois, où Jean Charest était plus ouvert aux enquêtes publiques.

Au printemps 2002, notamment, Jean Charest, alors chef de l'opposition, avait réclamé haut et fort une commission d'enquête sur l'«affaire Oxygène9», une histoire de lobbyisme qui avait fortement embarrassé le gouvernement de Bernard Landry. M. Charest voulait une enquête publique «pour savoir si c'est érigé en système», une expression que l'on entend souvent ces jours-ci au Québec.

Une fois au pouvoir, en 2005, il avait déclenché une enquête publique sur le fiasco de la Gaspésia. Le gouvernement Charest avait toutefois refusé d'étendre le mandat de la commission à toute l'industrie de la construction, malgré les demandes pressantes en ce sens.

Cette fois-ci, pas d'enquête, point. En reculant un peu dans l'actualité, on constate que Jean Charest répète depuis avril 2009 de laisser la police faire son travail. Son ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, demandait cette semaine aux Québécois de lui donner du temps, mais il y a déjà 20 mois que ce gouvernement nous dit d'attendre la fin des enquêtes de la police et plus de cinq ans qu'il a manqué une belle occasion de soumettre l'ensemble de l'industrie de la construction à une enquête publique.

Du temps, les Québécois en ont déjà donné beaucoup à Jean Charest.