Herby Moreau est le parrain du tapis rouge au Québec. Un vrai chasseur d'étoiles, qui a rencontré les vedettes hollywoodiennes d'abord à Flash à TQS, puis à Star système et District V. Et qui coanime les tapis rouges des galas de la télé, de la musique et du cinéma à Radio-Canada avec Claudine Prévost.

Je voulais te parler de l'évolution du «tapis rouge». Parce que tu incarnes le phénomène pour le public.

J'ai commencé aux États-Unis, pour un public québécois. Je me trouvais chanceux d'être là. Un jeune Québécois d'origine haïtienne, qui ne travaille pas pour le plus grand des réseaux québécois et qui a accès à ces vedettes-là. Il a fallu que je fasse ma place, et que des gens croient en moi. J'allais à la chasse, d'où est venu mon pseudo de «chasseur d'étoiles», et il ne fallait pas que je revienne bredouille. Je m'époumonais à crier «Brad! Angelina!» avec mon micro jaune. De retour au Québec, les gens me disaient: «Tu nous représentes bien!»

«Tu ne nous fais pas honte...»

Exactement. J'interviewais des personnes qui étaient inaccessibles. C'est ça qui a fait mon «brand». Si, aujourd'hui, je décide de moins le faire, c'est parce que je ne retrouve plus les mêmes conditions. À Toronto ou à Cannes autrefois, on était une quinzaine de journalistes à couvrir les tapis rouges et on pouvait avoir jusqu'à dix minutes avec un artiste. Maintenant, il y a 150 personnes, pas toutes des journalistes, qui nous interrompent en plein milieu d'une entrevue de 30 secondes avec Jessica Chastain. Les artistes n'ont plus envie d'aller vers cette horde de chiens qui aboient.

Au Québec aussi, ça a beaucoup changé. Quand j'ai commencé comme critique de cinéma, il y a 17 ou 18 ans, les tapis rouges n'existaient pas...

Au Québec, il y a tapis rouge et «tapis rouge». Quel artiste ne va pas s'arrêter sur un tapis rouge au Québec? (Rires)

Certains font des détours pour être vus sur le tapis rouge...

Disons que ce n'est pas la même expérience que dans un grand festival ou à Los Angeles! Je n'ai plus envie d'y aller systématiquement. Je trouve qu'il y a trop eu de tapis rouges, pour des films qui n'en avaient pas besoin.

On en fait pour des films d'animation américains doublés au Québec. C'est ridicule.

Et il y a des artistes, des comédiens, qui n'aiment pas se retrouver là. Roy Dupuis n'a pas envie d'être là. Luc Picard n'a pas envie d'être là. Et quand ils ne savent pas à qui ils s'adressent, ils se demandent s'ils ne se donnent pas en pâture à un gars ou à une fille qui les piège pour une parodie.

Est-ce que l'épisode Isabelle Juneau [une chroniqueuse de tapis rouges sur le web dont on a critiqué l'amateurisme] est un symptôme de ce qui ne tourne plus rond avec les tapis rouges?

On ne va pas lui faire porter tout le fardeau... Des Isabelle Juneau, il y en a plein. C'est la pointe de l'iceberg. Il y a l'ancien mannequin qui, en mal de visibilité, devient tout à coup reporter. Il y a l'ancienne star de téléréalité qui, en mal de lumière, devient chroniqueuse. Ils arrivent, ils ne sont pas toujours préparés, et ils sont surtout là pour se mettre de l'avant, plutôt que les artistes. La raison pour laquelle les gens m'aiment bien, c'est que j'ai toujours voulu mettre les artistes en valeur. Le tapis rouge, ce n'est pas un talk-show. On est là pour faire bien paraître les artistes.

Est-ce qu'on a vraiment le public et le star-système suffisants pour soutenir tous ces tapis rouges?

On a décidé d'adopter le modèle américain de promotion: on fait des junkets, des tapis rouges, des tournées promotionnelles. Le problème, c'est qu'on ne l'a pas nécessairement adapté à la réalité québécoise. J'ai créé en 2005, alors que j'étais à Star système [à TVA], le tapis rouge du gala Artis. Le vrai tapis rouge québécois à la hollywoodienne, pour moi, a été créé là. Parce qu'il y a un public et que la star est là pour son public. Des tapis rouges dans le hall d'entrée de l'Impérial, on n'est plus capables!

Tu te désoles de l'évolution de tout ça. Est-ce qu'on devrait t'embaucher comme consultant de tapis rouges?

(Rires) Ce n'est pas une science, un tapis rouge! Je n'animerai pas les universités d'été du tapis rouge. C'est un apéritif, c'est du dessert, c'est du crémage. C'est juste qu'on en a trop mangé! Mais on n'en fera pas un plat...

Tu parles des blogueurs et des chroniqueurs web. Ils ne sont pas tous d'égale qualité...

Tout le monde a voulu devenir un «petit Herby», si tu vois ce que je veux dire, mais je ne me reconnais pas dans cette façon de faire. Quand ces jeunes-là sont sur un tapis rouge, ils ne le font pas pour rencontrer un créateur et s'intéresser à son oeuvre, mais pour prendre un selfie. Là, tu me diras: «Herby, t'as juste fait ça, prendre des selfies

J'allais te le dire...

Quand j'ai commencé, en 1996 ou 1997, j'étais le seul à le faire. Bien avant l'iPhone. C'était mon tableau de chasse. Mais j'en fais beaucoup moins. Aujourd'hui, on prend tellement de selfies que c'est devenu trop. Avec humilité, j'ai été le premier à faire pas mal de choses dans ce créneau-là. Avec Herby.tv, je partais avec ma petite caméra et les gens riaient de moi en se disant: «Mon Dieu, ça va mal ses affaires!» Maintenant, tout le monde fait ça! C'était du Instagram avant Instagram. J'explore de nouvelles avenues avec des diffuseurs. C'est pas vrai que je vais retourner sur un tapis rouge, attendre des heures, pour le couvrir en 15 secondes sur Instagram...

Qu'est-ce que tu réponds à ceux qui disent que le Québec a trop sombré dans la «pipolisation». C'est un peu de ta faute en plus...

(Rires) J'ai envie de répondre à la Justin Trudeau: «Parce qu'on est en 2016.» On est à l'ère du branding. Tout le monde se brande. Quand on dit ton nom, on pense à quoi? Qu'est-ce que tu évoques? Si c'est ça, une forme de «pipolisation», je dirais qu'on n'a pas le choix si on veut faire ce métier-là.

Tu vis bien avec ton «brand»? C'est le moment où je te rappelle que l'on a étudié tous les deux dans une prestigieuse école de journalisme en France... Sens-tu parfois que ton casting te limite?

Oui et non. Me voir seulement comme monsieur Tapis rouge, c'est réducteur. Mais c'est un peu de ma faute aussi. J'en suis conscient. Les gens m'arrêtent pour prendre des selfies. J'ai été fixé comme ça dans l'imaginaire collectif. Je vends du rêve! Les journalistes qu'on envisageait d'être quand on est sortis de l'école, ce n'est plus ça maintenant. Anderson Cooper, qui est un grand journaliste, est aussi une vedette. À chacun son brand!