En cet âge d'or des téléséries, La Presse décortique une série qui vaut le coup d'oeil.

Le pouvoir sur le terrain

Le plus intéressant de la série française Baron noir, créée pour Canal+ et offerte au Québec sur Canal+ international, est qu'on ne se promène pas tant dans les coulisses de l'Élysée que sur le terrain d'une circonscription précise, à Dunkerque, dans le nord de la France, là où ça joue dur dans une classe ouvrière qui en arrache. Le tout commence entre les deux tours de l'élection présidentielle, quand le candidat du Parti socialiste, Francis Laugier (Niels Arestrup), décide de larguer son ami et plus fidèle soldat Philippe Rickwaert (Kad Merad), député-maire pris dans une affaire nébuleuse de fonds manquants, qui auraient servi à financer la campagne de Laugier. Cela déclenche une guerre larvée entre Laugier et Rickwaert, avec, au centre, la machiavélique Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis), bête politique bourgeoise, conseillère de Laugier, l'antithèse de Rickwaert, homme du peuple.

Une réalisation nerveuse

Ça démarre sur les chapeaux de roues alors que Rickwaert court partout pour trouver les fonds manquants et détruire des preuves, jusqu'à vendre son téléviseur et pratiquement pousser au suicide un proche collaborateur. Après deux épisodes seulement, on est essoufflé de le voir aller. La réalisation de Baron noir a été confiée à Ziad Doueiri, qui nous a offert le film L'attentat en 2013. Il a opté pour une esthétique réaliste et dynamique, afin de transposer un scénario dont la masse de dialogues l'effrayait. «Il fallait trouver l'astuce pour rendre tout cela cinématographique», explique-t-il dans le dossier de presse.

Les contradictions du militantisme

La série a été créée par Jean-Baptiste Delafon et Éric Benzekri. Dans le dossier de presse, ce dernier, qui a déjà milité pour le Parti socialiste, explique que son expérience en politique comportait de troublantes similitudes avec ce qu'il voyait dans les séries The Sopranos et The West Wing - la première, pour la présence de clans en constante évolution et la seconde, pour la prévalence des idées et des rêves qui se trouvent au coeur de la politique. «La figure de Philippe Rickwaert est née de notre envie de mettre en scène ce mélange a priori contradictoire mais bien réel.»

Kad Merad superstar

L'acteur Kad Merad s'est d'abord fait connaître comme humoriste et, au cinéma, par la comédie. Dans Baron noir, il trouve un des plus beaux rôles de sa carrière et affronte dignement l'impressionnant Niels Arestrup. Car il porte littéralement la série sur ses épaules. Philippe Rickwaert est un personnage complexe mais irrésistible, qui rappelle ces policiers d'une autre époque aux méthodes peu orthodoxes. Véritablement animé par ses idéaux, proche des gens plus que des politiciens, il est néanmoins prêt à n'importe quel coup bas pour arriver à ses fins, jusqu'à perturber le scrutin avec des casseurs. On n'arrive pas toujours à savoir quel est au juste son carburant : la vengeance ou ses convictions? Un peu des deux, on dirait, et c'est ce mélange qui le rend fascinant.

Clash culturel

Saluée assez unanimement en France, la série n'a pas le côté boursouflé de Marseille qui nage dans les mêmes eaux chez Netflix. On l'a présentée comme le House of Cards français, et il est vrai qu'on peut voir dans le désir de vengeance de Rickwaert quelque chose qui ressemble à la pulsion de Frank Underwood. Ces personnages sont toutefois à l'opposé dans leur engagement. Baron noir est une production française authentique, qui a son style propre. Le seul obstacle, pour le public québécois, ce sont les différences culturelles. Entre beaucoup de jurons, il faut se taper le jargon de la politique française extrêmement compliquée ‒ ça parle d'OHL, de CFDT, des querelles de la gauche divisée (le PS, les verts, les communistes, les syndicats), mais si on accepte de plonger dans ce bordel, on peut apprendre beaucoup de trucs tout en prenant son pied comme téléspectateur. Mais c'est vraiment pour les adeptes de séries politiques.

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Baron noir. Saison 1. Sur Canal+ international, les lundis à 20 h, dès le 16 avril.

Photo Jean-Claude Lother, fournie par KWAI/CANAL+

Kad Merad (Philippe Rickwaert), Niels Arestrup (Francis Laugier), Anna Mouglalis (Amélie Dorendeu)