Marc Labrèche coanime avec Anne Dorval l'émission de radio C'est le plus beau jour de ma vie à ICI Radio-Canada Première (le samedi à 11h jusqu'au 6 janvier). L'animateur d'Info, sexe et mensonges à ARTV participera de nouveau au Bye bye, à Radio-Canada, le 31 décembre.

Marc Cassivi: J'avais envie de revenir sur la dernière année avec toi. Notamment parce que tu participes au Bye bye et parce que ton émission a souvent fait réagir avec des imitations très à propos. Je pense à celles d'Éric Salvail et de Gilbert Rozon. Certains ont trouvé que c'était «trop tôt»...

Marc Labrèche: Je ne comprends pas cette affaire-là de «trop tôt»! Moi aussi, je l'ai entendu. On attend quoi? Qu'on ait le temps d'accepter l'idée que les choses se soient passées? Ça a été publié dans les journaux. Ça a été vérifié et contre-vérifié maintes fois. Ce n'est pas une enquête qui a duré trois minutes. À partir de là, pourquoi attendre? C'est sûr qu'il y a des dérapages possibles, dans certains cas, lorsque c'est basé sur des ouï-dire ou de fausses allégations. Mais dans ce cas-là, ce n'était pas le cas.

Marc Cassivi: C'était solidement documenté.

Marc Labrèche: On n'aurait pas pu passer à côté d'une grosse histoire comme celle-là. Parler de sujets éthérés, qui ne sont pas dans l'air du temps, on l'a déjà fait. Il y a un plaisir - même si ça peut sembler sadique - à s'attaquer à un sujet comme celui-là. Même lorsque les sujets traités sont carrément déprimants. On est dans un esprit de fantaisie, que le sketch soit réussi ou raté. Mais l'élan de départ n'est certainement pas de «bitcher» pour «bitcher» ou de faire du mal pour faire du mal. Vraiment pas.

Marc Cassivi: Mais il y a une volonté d'affronter le sujet. Autant j'ai trouvé que le gala Les Olivier tournait autour du pot, autant vous avez crevé l'abcès en vous moquant rapidement de Rozon et de Salvail...

Marc Labrèche: Peut-être qu'on n'est plus habitués à ça. RBO le faisait plutôt vite aussi. Aujourd'hui, tout le monde est un peu frileux partout. Il y a beaucoup plus de gens qui surveillent ce qui est dit. On est tributaires de la bonne foi de gens qui ont le gros bout du bâton. Le sketch de Salvail a failli ne pas passer.

Marc Cassivi: Ah non?

Marc Labrèche: On peut défendre son point de vue jusqu'à un certain point, mais on ne peut pas l'imposer. Moi, comme spectateur, c'est ce que j'ai envie de voir. Quand je regardais Saturday Night Live, ce qui est plus rare maintenant, j'avais hâte de voir comment ils allaient traiter une question d'actualité comme celle-là. Mais on est tributaires des avocats et des gens qui examinent nos sketches. C'était assez courageux jusqu'à un certain point de Radio-Canada de le diffuser. Il y a eu une petite résistance au début, on a débattu un peu. Moi, c'est le genre de chose qui m'intéresse et que j'ai envie de faire. Mais sincèrement, il y a plus de malaise par rapport à la nouvelle en soi que par le fait de la traiter en comédie.

Marc Cassivi: Comment as-tu réagi à ces nouvelles sur Salvail et Rozon?

Marc Labrèche: Une fois passée la consternation, je me dis que c'est un signe de santé sociale. De la part des gens qui se manifestent et qui dénoncent, mais aussi de la part de ceux autour, qui sont capables de l'entendre et qui commencent à s'interroger. Il ne faut pas penser que c'est juste dans le milieu artistique non plus.

Marc Cassivi: Certains le croient pourtant. Ils l'attribuent au fait qu'il y a plus de promiscuité ou de moeurs légères chez les artistes...

Marc Labrèche: C'est un mythe, à mon avis. Ce sont des choses qui existent partout, dans tous les domaines. Mais c'est un signe de santé de pouvoir le dire pour soi et de l'entendre collectivement. À toutes sortes d'échelles, j'ai entendu plein de gens dire «moi aussi». Le hashtag est tout à fait approprié. Il y a une forme de courage et de maturité à aller au-delà du tabou. Je ne sais pas jusqu'à quel point ça va changer le comportement des déviants, mais sûrement que pour un temps, certains vont se regarder dans le miroir et peut-être chercher de l'aide. Ce qui est délicat là-dedans, c'est le pardon et la deuxième chance. Jusqu'où on va, qu'est-ce qu'on permet?

Marc Cassivi: On n'en est pas là encore, il me semble. On est toujours à la première étape.

Marc Labrèche: À recoller les morceaux. Il y a des gens qui ont fait du mal, et des gens qui ont besoin d'aide. Ça n'excuse rien, mais qu'est-ce que tu pardonnes et jusqu'où tu pardonnes? Je me pose la question. J'ai connu des gens qui avaient des comportements déviants, qui étaient mes amis, et que j'ai, par la force des choses, essayé d'aider dans la mesure de mes moyens. Ce n'étaient pas des agresseurs. Ils se faisaient du mal à eux-mêmes, beaucoup. Tu ne peux pas aider tout le monde. Au bout du compte, on se demande aussi si on naît tous bons et qu'on se corrompt, ou s'il y a des psychés déjà avariées dès le départ.

Marc Cassivi: Avec tout ce qu'on apprend depuis quelques mois, c'est difficile de ne pas se poser la question.

Marc Labrèche: Ce fut une année éprouvante. Ce n'est pas non plus comme si on était dans un trip social exaltant en ce moment. Ou si, politiquement, on était portés par quelque chose de très inspirant. Un peu partout autour de nous aussi, ce n'est pas réjouissant. Ça fait une année lourde, mais qui est un passage obligé, je pense, en phase avec son temps, qui est celui de la déroute générale.

Marc Cassivi: Il y a beaucoup de désillusion...

Marc Labrèche: Et pourtant, j'avais l'impression que le cynisme perdait du terrain et qu'il y avait un retour à une sorte d'idéalisme, à un romantisme assumé.

Marc Cassivi: Peut-être pour les plus jeunes?

Marc Labrèche: Oui, la génération de mes enfants, entre 25 et 35 ans, est très lucide, mais à la fois emballée et exaltée par des choses toutes simples, pures et vraies.

Marc Cassivi: As-tu peur d'un ressac en humour? On est dans une période trouble où l'on dénonce un certain nombre de choses nécessaires. Mais crains-tu que le retour du balancier fasse en sorte que l'on n'ose plus rien dire?

Marc Labrèche: C'est déjà ça pas mal. La force du groupe fait peut-être en sorte de pouvoir dire les choses davantage. Je pense encore une fois à RBO. Mais une personne toute seule? Ça devient un jugement de valeur insolent. L'insolence, ça ne passe plus vraiment. Alors que c'est un geste insolent de dire quelque chose sur quelqu'un publiquement, même en humour. Surtout quand c'est amplifié par un média. On dit que tout le monde s'est rapproché grâce aux médias sociaux. Je pense qu'au contraire, le clivage est encore plus net entre ceux qui assument leur parole et ceux qui parlent sous le couvert de l'anonymat, sur Twitter par exemple. J'ai l'air d'un mononcle de parler comme ça, et je le suis!

Marc Cassivi: Tu parles de la force du groupe. Est-ce que dans une troupe comme celle du Bye bye, il y a plus de facilité à dire les choses? Ou au contraire, parce que c'est tellement une émission sous la loupe, on s'en permet moins?

Marc Labrèche: Ça dépend de l'esprit dans lequel on le fait. Certains ont un humour plus rassembleur et consensuel. D'autres veulent au contraire gratter le bobo. Un Bye bye, c'est paradoxal parce que c'est le moment de l'année où on se permet d'entendre les choses tout en restant festif. Sans savoir ce qui sera gardé au montage final, cette année, je trouve que les auteurs ont été assez permissifs. C'est moins fleur bleue que l'an dernier. La matière de cet automne a imposé le ton, qui va être un peu plus acerbe, je crois. Mais le Bye bye, c'est une catharsis. Il faut que ça reste plus rassembleur que mon émission, par exemple.

Marc Cassivi: Tu aurais envie de faire un Bye bye à la manière Labrèche?

Marc Labrèche: On fait ça chaque semaine, à petite échelle. Je ne vois pas ce qu'on dirait de plus à la fin de l'année... Je préfère être à la semaine. Si l'émission est mauvaise, on a la semaine qui suit pour se reprendre. On ne m'en parlera pas jusqu'à la fin de mes jours!