Le traditionnel Bye Bye, piloté par Simon-Olivier Fecteau, le Tourlou 2017 des Appendices et la revue annuelle d'Infoman de Jean-René Dufort n'échappent pas aux sujets sensibles. Pour le meilleur malgré le pire, espèrent-ils.

On s'en souvient, le Bye bye de 2009 avait choqué plus que d'habitude le public qui avait très mal reçu les blagues sur Nathalie Simard, alors qu'elle avait courageusement dénoncé son agresseur. À l'ère du #moiaussi, et quand on voit la polémique qui a entouré le spectacle de Guy Nantel, comment aborde-t-on, dans une revue humoristique, les incontournables scandales d'inconduites sexuelles, par exemple?

«La difficulté, c'est d'en parler, de ne pas en parler, et d'en parler», résume Jean-René Dufort qui, lors de notre interview, commençait à peine son bilan de 2017 à Infoman avec son équipe. «On cherche une manière de couvrir ce qui est difficile. Le danger, c'est toujours de faire des amalgames, de mettre tout le monde dans le même panier. Nous allons devoir réfléchir à ça.»

«Notre job, c'est de parler de ce qui est arrivé, note Simon-Olivier Fecteau, qui travaille d'arrache-pied à son Bye Bye. Et si on veut en parler, il faut nommer, traiter ces situations, et assumer ce qui vient avec.» 

«À mon avis, c'est un bon Bye bye qui s'en vient, nous avons très hâte de le présenter, mais il est moins délicat que l'an dernier.»

Les Appendices présenteront dans leur émission spéciale de fin d'année, Tourlou 2017, un sketch sur le consentement. Mais l'humour absurde qui caractérise le groupe les protège un peu contre les mauvaises interprétations, selon Julien Corriveau. «On aborde le sujet par la dérision et l'exagération, dit-il. On a mis en scène des personnages stupides qui ont une vision tellement exagérée que ça en devient drôle. Ils pensent que non veut dire oui dans toutes les situations de la vie; on pousse le raisonnement jusqu'à l'absurde. Ça nous permet d'aborder l'enjeu, sans parodier des personnes en particulier.»

Ce qui a le plus changé depuis les premiers Bye bye et Infoman, ce sont bien sûr les réseaux sociaux. La réaction est immédiate, et l'emballement devient collectif. Il n'y a pas que ça : avec tout ce monde qui veut prouver son sens de l'humour, il arrive bien souvent que d'excellentes blagues aient été faites avant même que les scripteurs aient commencé à écrire les leurs. 

«Je reste loin de ça, sinon, tu vires fou», avoue Jean-René Dufort, qui souligne que cette pression ne se vit pas seulement à la fin de l'année pour lui, mais chaque semaine. «Le paysage a complètement changé, les jokes sont instantanées, tout le monde a trouvé des idées avant toi. Avant, un scoop durait plus de cinq minutes, et maintenant, tout le monde a les clés pour cogner à ta porte et venir te dire ses réactions.»

«Avant, tu avais plus le temps de penser que celui qui a bu un verre de vin le soir et qui écrit, fâché, directement à l'animateur.»

Étonnamment, Simon-Olivier Fecteau est moins stressé que l'an dernier, malgré des sujets beaucoup plus glissants en 2017. «L'an passé, je me demandais tout court si on était capable de faire ça, un Bye bye, sans se faire démolir. Ç'a été somme toute bien reçu, une belle expérience en bout de ligne. On sait que c'est possible. On sait qu'on n'en mourra pas. Entre mourir et ne pas mourir, il y a un gros stress de moins! [rires] L'an passé, notre Bye bye a été assez gentil. Cette année, on est un peu plus sur la ligne, on ne peut pas faire autrement, avec l'actualité des derniers mois.»

Révéler les fractures

Quels sont les sujets les plus risqués, selon eux? «Ce n'est jamais ce qu'on avait prévu, note Jean-René Dufort. On est toujours surpris de ce qui passe et de ce qui ne passe pas. Mais nous avons un public fidèle depuis des années, c'est très rare que nous ayons un tsunami de gens qui n'ont pas aimé ça. Par contre, je dirais que le sujet de la religion, c'est toujours quelque chose avec un petit bonus...»

Julien Corriveau note lui aussi que la religion est toujours un sujet délicat. «Il y a beaucoup de sensibilité à ça, je dirais. Il y a aussi qu'à notre heure de diffusion, beaucoup d'enfants sont à l'écoute, et on s'est fait critiquer parfois parce qu'on sacrait. Il faut faire attention, l'absurde ne permet pas tout non plus. Mais règle générale, on a été assez chanceux, on n'a pas eu beaucoup de plaintes.»

Photo fournie par ICI Radio-Canada Télé

Dans sa revue de l'année, Jean-René Dufort prend soin de ne pas prendre position, en laissant les commentaires éditoriaux à ses invités.

Dans sa revue de l'année, Jean-René Dufort prend soin de ne pas prendre position, en laissant les commentaires éditoriaux à ses invités. «Je tiens toujours pour acquis que personne ne va croire ce que je dis, personne ne veut entendre un éditorial de moi. Je fais toujours dire les choses par mes invités. Il faut avoir une certaine neutralité, et c'est important que chaque personne ait sa shot au micro : un péquiste, un fédéraliste, une féministe, un gars de La Meute, une personne de gauche, un conservateur, un barbu, un non-genré... Je les laisse parler.»

Le cas du Bye bye est assez particulier au Québec, et suscite de vives discussions bon an, mal an. «Mais je pense que les gens sont capables d'en prendre», croit Simon-Olivier Fecteau.

«Nous avons une permission que d'autres n'ont pas forcément. Notre rôle a toujours été d'être les fous du roi.» 

Il remarque cependant des fractures plus profondes dans la société. «Il y a deux mouvements, et ils sont clairs: d'un côté, la droite, qui a continué de pousser avec Trump, qui estime que s'exprimer, c'est dire tout ce qu'on veut et envoyer chier n'importe quelle catégorie de gens et, à l'opposé, ceux pour qui, peu importe ce que tu dis, c'est offensant. Nous avons deux pôles très opposés, tous les deux sont très vocaux, les gens disent haut et fort leurs positions, tout le monde a accès à tout le monde, et ça brasse.»

Même son de cloche chez Jean-René Dufort. «Avec les réseaux sociaux, les positions sont confinées à des groupes d'intérêts. Les personnes de gauche discutent avec la gauche, ceux de la droite avec la droite. Tout devient une fake news quand ça ne milite pas en ta faveur. À Infoman, des groupes d'intérêts nous appellent non pas parce que ce que l'on montre est faux, mais parce que ce n'est pas de leur avis.»

Comment résumer 2017?

Parce qu'ils ont à se pencher sur les grandes lignes de l'année, ils ont forcément une vision personnelle sur les 12 derniers mois. «C'est une année qui a commencé avec la marche des femmes, jusqu'à l'élection de Valérie Plante, observe Dufort. D'ailleurs, beaucoup de villes ont élu une femme à la mairie. C'est une année où les femmes se sont levées de belle façon. Et une année de catastrophes naturelles - j'inclus Trump là-dedans. On peut planter les mononcles et saluer les femmes.» 

Julien Corriveau qualifie 2017 «d'année stupide». «Autant par les décisions de Donald Trump que par les gens qui ont commis des gestes dont ils pensaient qu'ils n'auraient pas d'impact sur leur carrière, précise-t-il. Beaucoup de fake news aussi, de gens qui croient n'importe quoi, bref, beaucoup de stupidités, ce qui est évidemment très bon pour nous!»

«2017, pour moi, c'est un chaos nécessaire, estime Simon-Olivier Fecteau. Nous sommes dans une grosse période où tout brasse, et j'espère que c'est pour être meilleurs après. Soit nous deviendrons de meilleurs humains, soit il n'y aura plus d'humains...»

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> Tourlou 2017 des Appendices, le samedi 30 décembre à 20 h à Télé-Québec

Infoman 2017, le dimanche 31 décembre à 22 h à Ici Radio-Canada Télé

Bye bye 2017, le dimanche 31 décembre à 23 h à Ici Radio-Canada Télé

Photo Martin Chamberland, archives La Presse

Les Appendices présenteront dans leur émission spéciale de fin d'année, Tourlou 2017, un sketch sur le consentement.