C'est mardi soir que Radio-Canada diffusera le documentaire Bye, dans lequel l'homme d'affaires Alexandre Taillefer tente de comprendre ce qui a poussé son fils Thomas au suicide (à l'âge de 14 ans). La Presse en parle avec l'un des intervenants du film, Miguel Therriault, du centre d'hébergement Le Grand Chemin, qui accueille des jeunes aux prises avec une dépendance. Un film à voir avec ses ados.

Des jeunes dépendants de l'internet et des jeux en ligne comme Thomas, vous en voyez beaucoup ?

En fait, c'est une clientèle que nous ne connaissions pas avant 2012. Il n'y avait pas de demande, ce qui ne veut pas dire que le problème n'existait pas. Mais depuis, nous recevons de plus en plus de jeunes qui nous sont référés par les services de santé. Aujourd'hui, il y a entre 5 et 7 % des jeunes que nous accueillons (sur environ 250) qui souffrent de cyberdépendance.

C'est un nombre qui est en augmentation ?

Oui, ça tend à augmenter depuis 2012. Mais il y a un contexte particulier au Québec, puisqu'il n'y a pas de structure claire de détection de ces cas-là. Ce n'est pas un problème qui est reconnu par le ministère de la Santé. Donc, le nombre de cas augmente, mais le jour où le gouvernement réagira, je crois qu'on recevra plus de jeunes encore.

Plusieurs des jeunes cyberdépendants que l'on voit dans le documentaire sont victimes d'intimidation ou d'une forme de rejet. Les écrans et les jeux deviennent alors un refuge, c'est ça ?

Tout à fait. La cyberdépendance est une dépendance de refuge. Il y a un sentiment de protection dû au caractère anonyme de l'ordinateur. Si je vis des problèmes relationnels ou de l'anxiété sociale, le fait d'être devant un ordi est très sécurisant.

Vous la définissez comment, la cyberdépendance ?

Il faut qu'il y ait une perte de contrôle de l'utilisation d'internet, mais on ne peut pas se fier uniquement au nombre d'heures qu'un jeune passe à l'ordinateur. Il y a aussi la présence de troubles fonctionnels (problèmes de sommeil, d'alimentation, conflits familiaux, etc.) et une souffrance cliniquement observable, liée à l'utilisation d'internet. Ce qui complique les choses, c'est que lorsque le jeune est en ligne, cette souffrance est moins grande.

La perte de contact avec la réalité et le monde extérieur est l'une des conséquences de cette dépendance. Qu'est-ce qu'un parent peut faire dans ce contexte pour éviter de voir son enfant sombrer ?

Quand les parents s'en aperçoivent, les jeunes sont souvent rendus loin dans leur dépendance. Ils s'en rendent compte lorsque leur ado n'échange plus avec eux, qu'il ne dort plus, ne respecte plus les règles familiales ou réagit de façon agressive lorsqu'ils tentent de limiter son utilisation d'internet. Mais c'est un processus qui est en construction depuis des mois, voire des années. D'où l'importance de la prévention.

Quelles sont les mesures préventives qu'un parent peut mettre en place ?

Je crois que les parents doivent assurer à leurs jeunes une qualité de vie hors ligne. Parce que le problème des cyberdépendants, c'est qu'ils ont une qualité de vie en ligne qui est plus grande que celle hors ligne. Les écrans, par exemple, devraient être dans des lieux communs, pour voir l'utilisation qu'en font les jeunes. Il faut aussi faire des activités avec vos ados. C'est toujours plus facile de dire « Viens, on va faire telle activité » qu'« Arrête de jouer ».

Dans le documentaire, il y a un jeune qui dit : "Vous, les parents, êtes les dernières personnes à qui on va se confier parce qu'on ne veut pas vous décevoir." Comment réagir à un constat comme celui-là ?

C'est une phrase qui m'a aussi beaucoup frappé comme parent. On peut juste se montrer ouvert, maintenir un dialogue, parler de ses inquiétudes et offrir des options à nos enfants, qui pourraient être plus à l'aise de parler à un autre membre de la famille. Les applications d'aide en ligne, comme celle proposée par M. Taillefer, sont aussi une voie d'avenir. Ça peut être plus facile de parler de sujets douloureux protégé derrière un écran que de faire face à une personne qui risque de nous juger.

Loïc est un garçon qui apparaît dans le documentaire et que vous êtes parvenus à aider au centre Le Grand Chemin. Comment l'avez-vous rattrapé ?

Quand on reçoit quelqu'un comme Loïc dans notre centre d'hébergement, la première chose à faire est de l'aider à retrouver une saine hygiène de vie. Bien dormir, bien se nourrir, faire des activités physiques. Avec l'aide des intervenants, l'encadrement, la vie de groupe, on arrive à aider le jeune à passer par-dessus la phase d'anxiété résultant du fait qu'il n'est plus en ligne. C'est une démarche semblable à celle d'un toxicomane.

Quels sont les signes de détresse d'un ado cyberdépendant qu'il faut absolument avoir à l'oeil ?

Les idées obsessionnelles lorsque l'adolescent n'est pas en ligne, quand il n'arrive plus à parler d'autre chose que le jeu en ligne, c'est un indicateur important. Quand il a une réaction émotive lorsqu'il n'a pas accès à un ordinateur. L'abandon des activités hors ligne pour les activités en ligne. Lorsqu'il perd intérêt pour des activités qu'il faisait avant - comme les scouts, le hockey, le soccer, des choses qu'il aimait bien faire et pour lesquelles il a tout à coup perdu intérêt.

Ça peut être une bonne stratégie de regarder ce documentaire avec ses ados, non ?

Ce que je trouve intéressant dans ce documentaire, c'est la parole qui a été donnée aux adolescents. Ça permet aux ados qui vont le voir de s'identifier à eux. Moi, j'ai été bouleversé à l'écoute de ce film. J'espère que ça entraînera une discussion familiale. Est-ce que ça peut avoir un effet préventif, je ne sais pas, mais au moins, ça va soulever des questions. L'étape suivante revient aux parents, pour trouver l'aide nécessaire lorsque la situation s'aggrave.

Le documentaire Bye sera diffusé mardi à 21 h sur les ondes d'ICI Radio-Canada Télé, sur la page Facebook du diffuseur ainsi qu'à la radio d'ICI Radio-Canada Première.



>> Consultez le site du centre d'hébergement Le Grand Chemin