L'auteure d'Unité 9 et de Cheval-Serpent, Danielle Trottier, a été profondément secouée par la vague de dénonciations pour agressions sexuelles des dernières semaines. Celle qui a imaginé le personnage de Marie Lamontagne, victime d'inceste, est catégorique: son écriture ne sera plus jamais la même.

Quand la vague #moiaussi a éclaté, Danielle Trottier était en train de réviser les textes de sa série Cheval-Serpent. Elle a pris son crayon et a commencé à raturer des mots, des répliques entières.

«Il y a des choses qu'on ne peut plus dire aujourd'hui, lance-t-elle en entrevue. Avec Cheval-Serpent, je suis dans le monde de l'érotisme et je fais dire certaines choses à mes personnages masculins. Un d'eux disait, en regardant une femme: "Elle, je me la ferais bien." Je l'ai enlevé. Tous les hommes ne sont pas des agresseurs et j'ai une responsabilité comme auteure. Je revisite tous les clichés pour les hommes ET pour les femmes. Fabienne [Larouche, productrice] aussi a été bouleversée par les événements des dernières semaines. Je n'ai pas eu besoin de lui expliquer mes modifications. On est toutes les deux conscientes qu'il y a des choses qu'on ne dira plus jamais.»

Une prise de conscience

En parallèle, Danielle Trottier s'apprête à entamer l'écriture de la septième saison d'Unité 9. Elle est profondément convaincue que les révélations des dernières semaines auront également un grand impact sur ce qu'elle va écrire à l'avenir. 

«Je suis bouleversée d'entendre tous les témoignages, ça m'empêche de dormir... Mais en même temps, ça renforce ma conviction qu'il faut parler des agressions sexuelles, c'est important.»

«Ça fait 11 ans que je travaille sur un personnage victime d'inceste. Là, on assiste à une grosse prise de conscience sociale», ajoute Danielle Trottier.

Les agressions sexuelles sont au coeur d'Unité 9, série regardée par plus de 1 million de téléspectateurs chaque semaine. «La majorité des femmes en prison ont déjà été victimes d'abus sexuels, alors on peut croire que la plupart des personnages d'Unité 9, même si on ne connaît pas tout sur leur passé, en ont subi», souligne Danielle Trottier qui a développé une profonde connaissance du milieu carcéral au fil des ans. «Je n'excuserai pas la criminalité de ces femmes, ajoute-t-elle, mais il faut comprendre qu'à l'origine de tout cela, très souvent, il y a des abus sexuels qui expliquent pourquoi elles en sont arrivées là.»

Une détenue autochtone

Sur la table de travail de l'auteure, il y a le dossier d'une éventuelle nouvelle détenue à la prison de Lietteville, un personnage de femme autochtone inspiré par les événements des dernières années (disparitions, assassinats, Val-d'Or...). Jusqu'à tout récemment, Danielle Trottier hésitait à lui donner vie. Le mouvement #moiaussi a mis fin à ses hésitations. «La question des femmes autochtones est d'une violence inouïe, c'est un sujet très délicat, explique-t-elle. Je me disais: je ne vais pas encore leur ramener une victime d'abus sexuel. J'avais peur d'ennuyer les gens, je craignais qu'ils se lassent d'entendre parler de ça.»

Aujourd'hui, l'auteure réalise qu'en tant que femme, elle peut contribuer à changer les choses grâce à ses personnages, justement. «J'ai honte aujourd'hui d'avoir hésité à écrire ce personnage. Il faut croire que c'est fort, la loi du silence, dit-elle. La preuve, c'est qu'il y a des femmes qui ont mis 20, 30 ans avant d'en parler. Maintenant, c'est sûr que je vais en parler. Il y a des sujets trop importants pour ne pas le faire.»

Ne plus se taire

L'auteure rappelle qu'il lui aura fallu cinq ans pour convaincre un diffuseur que le milieu carcéral des femmes ferait une bonne série. «Au début, j'hésitais à faire de mon personnage principal une victime d'inceste, reconnaît-elle. Quand Fabienne a vu mon hésitation, elle a dit: "Non, on fonce, il faut parler de ça, c'est important." Je suis contente d'avoir eu une femme productrice qui était sensible à ces questions-là.»

Danielle Trottier se dit convaincue qu'avec le mouvement #moiaussi et les témoignages des dernières semaines, les choses ont changé pour de bon. «On a libéré une parole et je ne pense pas qu'on puisse la contenir à nouveau, affirme-t-elle. Je pleurerais de rage si on retournait au silence.»

Photo David Boily, La Presse

L'auteure d'Unité 9 Danielle Trottier