En cet âge d'or des téléséries, La Presse décortique chaque semaine une série qui vaut le coup d'oeil. Aujourd'hui: Alias Grace.

Le fait divers

Alias Grace est une adaptation du roman de Margaret Atwood paru en 1996, qui lui a valu le prix Giller, et dont on vient de rééditer la traduction française, Captive. Ce roman est le résultat d'une enquête de l'écrivaine à propos de l'un des procès les plus célèbres du Canada anglais, celui de Grace Marks et de James McDermott, accusés d'avoir assassiné leur employeur, Thomas Kinnear, et sa gouvernante, Nancy Montgomery, en 1843. McDermott a été pendu, tandis que Grace Marks a été condamnée à la prison à vie, après avoir été internée dans un asile psychiatrique. Elle aura passé 30 ans en détention. Margaret Atwood a développé une véritable obsession pour le cas de Grace Marks, qui lui a inspiré son roman.

La pertinence d'Atwood

Après le choc The Handmaid's Tale, qui a raflé de nombreux prix Emmy (dont celui de la meilleure série), il s'agit du deuxième roman d'Atwood adapté à la télé en moins d'un an. Cela prouve la pertinence de l'écrivaine canadienne, souvent citée dans la liste des aspirants au prix Nobel, alors que les questions féministes reviennent sur le devant de la scène, avec l'élection de Trump, la chute de Weinstein et le mouvement de dénonciation d'agressions sexuelles que nous connaissons. Pour Atwood, il s'agit d'une «simple coïncidence». «Toutefois, cela semble assez approprié à l'époque où nous vivons», a-t-elle reconnu en entrevue avec le magazine Variety. «La servante écarlate était en développement bien avant que Trump ne soit candidat, mais ce drame dystopique a trouvé un nouveau sens lorsqu'il est entré dans le bureau Ovale. De même, Sarah Polley voulait adapter Alias Grace depuis des années, mais cette fable sur la vraie nature de la vérité ne pouvait être plus opportune.»

La servitude

Il est singulier que les deux romans d'Atwood transposés en séries télé mettent en scène des servantes, l'une dans un monde qui a sombré dans l'autoritarisme, l'autre dans un passé pas si lointain où la femme vivait dans des contraintes sociales aliénantes. Grace Marks (Sarah Gadon), jeune immigrée irlandaise pauvre d'une beauté stupéfiante, est un personnage isolé, entouré de menaces dès qu'elle met le pied au Canada, sa mère étant morte pendant la traversée, son père étant un homme alcoolique et violent. Objet de toutes les convoitises, elle est sans protection, traumatisée par le destin de sa meilleure amie qui a dû se faire avorter en secret, soumise aux abus de pouvoir, qu'ils viennent de ses patrons, de ses geôliers ou des médecins, pour qui elle est un rat de laboratoire. Cette société qui tente de protéger les femmes contre elles-mêmes en les infériorisant n'est au fond qu'une société prédatrice qui profite de la servitude des femmes.

Qui dit vrai?

Le point central de la série est Grace Marks elle-même, qui répond aux questions du docteur Jordan (Edward Holcroft), chargé de rédiger un rapport sur l'accusée la plus célèbre de son époque. Mais plus il l'interroge, plus il tombe sous le charme de cette jeune fille capable d'éviter tous les pièges qui pourraient l'incriminer davantage. De ces entrevues, nous retournons constamment dans le passé de Grace, dans ses propres descriptions, et la réalisation mêle en images son récit, le témoignage de son coaccusé qui la montre sous un autre jour, son monde onirique et celui de Jordan, de sorte qu'on ne sait plus trop départager le vrai du faux. Ment-elle ? Est-elle coupable ou innocente? Cela n'a presque pas d'importance, tant son regard aiguisé sur les choses révèle les injustices qui l'entourent. On n'en saura pas plus, puisque la vraie Grace Marks, après avoir purgé sa peine, a disparu aux États-Unis sans laisser de traces.

Une création de femmes

Cette minisérie de six épisodes d'une très grande qualité, dont la finale sera dévoilée lundi prochain, est une création majoritairement féminine, et disons que ça fait du bien. Présentée depuis le 25 septembre à CBC, elle sera offerte sur Netflix dès le 3 novembre. Produite par la comédienne et réalisatrice Sarah Polley (Away from Her), qui a cosigné le scénario avec Margaret Atwood (elle a aussi supervisé la production), Alias Grace est réalisée par Mary Harron, qui nous a donné les très bons I Shot Andy Warhol et American Psycho, et portée par la sublime Sarah Gadon, dont la beauté hypnotisante crève l'écran. Selon Sarah Polley, avec Alias Grace, Margaret Atwood «nous offre une façon de voir d'où nous venons, tandis qu'avec The Handmaid's Tale, elle nous montre où nous pourrions aller».

__________________________________________________________________________

Alias Grace. Écrit et produit par Sarah Polley, d'après le roman de Margaret Atwood. Réalisé par Mary Harron. Avec Sarah Gadon, Edward Holcroft, Anna Paquin, Paul Gross, Zachary Levi et David Cronenberg. Six épisodes. Sur CBC et sur Netflix (dès le 3 novembre).

Photo fournie par CBC

Sarah Gadon incarne Grace Marks dans Alias Grace.