Il perd des abonnés par millions et doit payer sans cesse plus cher les droits de retransmission, rien ne va plus au royaume d'ESPN, le géant américain du sport à la télévision qui doit se réinventer au plus vite.

À Bristol, la petite ville du Connecticut où ESPN a élu domicile depuis ses débuts, sur le réseau câblé américain, en 1979, l'atmosphère a changé.

Pendant trente ans, le premier acteur au monde à s'être approprié le concept de chaîne uniquement consacrée au sport n'a cessé de grossir, pour devenir un ogre, avec six chaînes différentes et cent millions d'abonnés.

Mais depuis 2011, le vent a tourné et mercredi, le groupe, filiale de Disney depuis 1996, a annoncé une nouvelle vague de licenciements, environ 100 selon plusieurs médias américains, dont quelques visages connus des téléspectateurs, après la suppression de 300 postes en 2015, et 400 en 2013.

En cause, d'abord, la baisse continue du nombre d'abonnés, qui atteint neuf millions depuis 2011, même si le groupe en revendique encore 90 millions.

À 9,17 dollars par abonné et par mois, selon les chiffres du cabinet SNL Kagan, cela représente un manque à gagner de près d'un milliard de dollars.

Durant des décennies, les Américains se sont abonnés au câble sans même y réfléchir, payant, par défaut, pour des centaines de chaînes dont ils ne regardaient qu'une petite partie. Mais les alternatives existent désormais.

«Avec l'arrivée à maturité du streaming et l'émergence d'autres chaînes sportives, ils sont dans une situation bien plus difficile que par le passé», souligne Andrew Zimbalist, professeur d'économie, spécialisé dans le sport, au Smith College.

Pour lui, ESPN va encore perdre deux à trois millions d'abonnés par an durant les cinq prochaines années, avant que le rythme ne s'accélère encore.

ESPN en vente?

Parallèlement, le tarif des droits de retransmission a explosé, augmentant de 54% en Amérique du Nord entre 2010 et 2014, selon une étude, publiée en octobre 2015, par le cabinet PriceWaterhouseCoopers, qui les voyait plus que doubler entre 2010 et 2017.

En 2011, ESPN s'est engagé pour dix ans et 15,2 milliards de dollars pour les droits de la seule ligue professionnelle de football américain NFL.

Cette saison a démarré le nouveau contrat le liant à la ligue professionnelle de basket NBA, évalué à 12,6 milliards de dollars sur 9 ans.

Conscient que «les habitudes de consommation (de la télévision) sont en train d'évoluer», selon les termes de son président John Skipper mercredi, ESPN ne se contente pas de tailler dans ses coûts pour négocier cette passe difficile.

Il a négocié des accords avec la plupart des bouquets de télévision en ligne qui se lancent depuis quelques mois aux États-Unis (Sling, Hulu, YouTube TV, DirecTV Now, Playstation Vue) et dont le modèle consiste à offrir moins de chaînes pour un prix sensiblement inférieur au câble traditionnel.

En août 2016, Disney, la maison mère, a pris une participation minoritaire (33%) dans BAMTech, filiale de la ligue professionnelle de baseball MLB devenue un acteur majeur dans le flux vidéo en ligne.

Avec l'appui technologique de BAMTech, ESPN s'apprête à lancer une offre entièrement en ligne plus tard cette année, a indiqué le directeur général de Disney, Bob Iger.

Mais malgré ces initiatives, «le mieux qu'ESPN et Disney puissent espérer, à ce stade, c'est de ralentir la baisse», estime néanmoins Jan Dawson, analyste en chef au sein du cabinet Jackdaw Research, qui souligne que le revenu moyen par abonné tiré de l'ensemble des canaux de diffusion devrait, en outre, diminuer.

Parallèlement, le coût des droits de retransmission reste très élevé, et les marges vont donc continuer à fondre, ce qui explique qu'ESPN joue sur le levier des effectifs, l'un de ceux que le groupe maîtrise encore.

Pour Andrew Zimbalist, «ils vont devoir licencier plus de monde dans les mois qui viennent».

Plusieurs analystes, de même que le patron du groupe Liberty Media, John Malone, entrevoient ou militent pour une cession d'ESPN par Disney.

Reste la question de l'acquéreur, aucun nom ne paraissant évident.

«Il reste des questions fondamentales», rappelle Jan Dawson, «que devra traiter aussi un nouveau propriétaire.»