Les aspirations de toute une génération de filles à qui on avait brandi le girl power subissent l'épreuve du réel, dans l'actualité comme dans la fiction des Simone. Son auteure, Kim Lévesque Lizotte, revient sur son projet et sur ce qui échauffe les esprits en ce moment.

Nous l'avons rencontrée en septembre, pour la rentrée télé, alors qu'elle allait présenter sa première série, Les Simone. Elle était apparue au café, grande, élancée, avec ses yeux d'un bleu presque métallique. Elle avait le trac - et c'est bien normal quand on est sur le point d'offrir à la critique et aux téléspectateurs un univers qu'on a créé.

Pour avoir lu ses chroniques dans Urbania ou l'avoir entendue à l'émission Selon l'opinion comique, on savait que Kim Lévesque Lizotte ne craignait pas de prendre la parole. Ce qu'elle a fait pendant deux heures, en s'excusant de partir dans tous les sens.

«J'aimerais qu'on porte un regard plus tendre sur ma génération», nous avait-elle alors confié. Cette génération qu'on dit gâtée, égocentrique et qui patauge dans les ruines des promesses non tenues de progrès social.

Il y a forcément un peu de tendresse à l'oeuvre, puisque la critique a été positive et que plus de 930 000 téléspectateurs suivent chaque semaine la crise identitaire et les contradictions de Maxim (Anne-Élisabeth Bossé), Laurence (Rachel Graton) et Nikki (Marie-Ève Perron).

Après sept épisodes, l'auteure semble comblée. «Je reçois des centaines de messages par semaine, des témoignages de gens qui aiment la série, de femmes qui se reconnaissent, de pères qui reconnaissent leur fille, de gars qui me demandent quoi faire parce que leur blonde leur a fait un "Maxim". Bien sûr que j'ai aussi vu passer des critiques, des tweets de gens qui ne se reconnaissent pas, qui sont choqués, qui émettent des bémols ou qui détestent la série, tout simplement. Ils en ont le droit. Pour l'instant, les critiques positives me donnent la force d'affronter les gens qui expriment leurs réserves ou leur mépris.»

Le malaise féminin

Certains peuvent se demander ce qu'il y a de plus à dire après Sex and the City ou Girls. Encore une bande de filles qui se cherchent? Kim rappelle que le «malaise masculin» a eu une place de choix à la télé québécoise, avec des séries comme Minuit, le soir ou Les invincibles - qu'elle a par ailleurs beaucoup aimées.

Les Simone, c'est un peu ce qu'on cache derrière l'enthousiasme du girl power, le malaise au féminin d'une génération qui découvre brutalement que les promesses d'égalité hommes-femmes n'ont pas été tenues, même s'ils sont nombreux à affirmer le contraire.

Si la révolution avait bel et bien eu lieu, on n'aurait pas des manifs contre la culture du viol. Et Kim a son mot à dire sur les retombées du cas d'Alice Paquet, cette jeune femme qui a accusé le député Gerry Sklavounos de l'avoir agressée sexuellement.

«Alors que je me réjouissais de ne pas trop semer la controverse avec ma série, j'ai osé faire un billet sur "les joies de la dénonciation" à Gravel le matin. Ça m'a replongée dans cette bonne vieille haine des réseaux sociaux, raconte-t-elle. Le message est clair: si vous dénoncez ou si vous défendez les gens qui dénoncent, attachez votre tuque avec de la broche.»

«Le problème, c'est que tout ce cirque me donne envie de me taire. Et si ça me fait taire, moi, je ne veux même pas imaginer à quel point ça donne envie aux vraies victimes de violence sexuelle de se taire.»

La violence sur les réseaux sociaux est un vrai problème, selon elle. Tout le monde y participe, et les femmes en font plus les frais.

«On a accepté l'inacceptable en tant que société. Des propos hargneux, violents, tu risques d'en recevoir, que tu dénonces une agression ou que tu fasses une pub de savon. J'ai essayé de sensibiliser [le public] par quelques chroniques, Pénélope McQuade a "levé le flag", Andie Duquette a touché plein de gens avec un segment à Vlog, mais on reste des exceptions, alors qu'on en est tous victimes. Et, quand on dénonce [des propos violents], on a peur que ça amplifie la violence à notre égard ou d'avoir l'air de se victimiser et de chercher à se faire du capital de sympathie. Ça prendra de la volonté politique, une responsabilisation de la population, et d'être capable d'admettre réellement la gravité de la situation.»

Paradoxes

Les Simone, c'est aussi le paradoxal déchirement entre l'envie de correspondre à de vieux conditionnements - sur la beauté, l'amour - et le désir de s'en libérer. Kim veut aussi défaire les mythes entourant l'amitié et la solidarité, grands piliers des séries dites «de filles». «Parce que ce n'est pas vrai que tu as toujours ta bande d'amies qui débarque dans ton appartement quand tu vas mal. Il y a beaucoup de solitude chez les filles de mon âge.»

Avant la sortie de sa série, Kim nous disait à quel point elle trouvait aliénante cette obsession de la perfection sur Instagram - «On a critiqué la Power Woman des années 80 et on est deux fois pire» - ainsi que cette tendance à «ploguer» plein de produits de mode. Puis est arrivé un concours de magasinage en marge du lancement des Simone qui a fait râler beaucoup de femmes. On évoque Simone de Beauvoir (qui a inspiré le titre de la série) et on propose encore des fringues et du maquillage?

«Les gens doivent comprendre que je suis auteure, note-t-elle. J'ai la chance d'avoir la liberté d'écrire mes histoires, de les assumer et de les défendre. Mais les décisions et les campagnes de promotion ne font pas partie de ma liste de tâches et, comme j'apprécie la liberté qu'on me donne dans mon travail, j'essaie de ne pas m'ingérer dans le travail des autres. Je suis heureuse que la campagne ait été retirée rapidement. J'étais en pleine semaine de promotion et je trouvais difficile d'être associée à une polémique plutôt que de parler de ma série.»

Bref, on n'invoque pas Simone de Beauvoir sans conséquence, même si c'est seulement un clin d'oeil. Voilà peut-être pourquoi Kim Lévesque Lizotte planche en ce moment sur une deuxième saison, car il reste, finalement, beaucoup de choses à dire sur le sujet.