Après combien d'épisodes a-t-on le droit d'abandonner une émission qui ne nous plaît pas particulièrement? La télé est-elle devenue meilleure que le cinéma? Y aura-t-il, un jour, un autre bijou du calibre de Six Feet Under à consommer en rafale? Nos chroniqueurs Marc Cassivi et Hugo Dumas débattent de ces questions brûlantes du petit et du grand écran (et aussi des cheveux de Felicity).

Marc Cassivi: Hugo, je ne sais pas comment tu fais pour regarder toutes ces séries. Moi, juste à y penser, ça me donne le vertige. J'aimerais bien, moi aussi, plonger dans The Knick, mais penser que j'ai déjà 20 épisodes à rattraper, ça me décourage...

Hugo Dumas: J'avoue. Imagine si tu devais t'attaquer à Grey's Anatomy: tu aurais environ 255 épisodes à rattraper! Ça fait beaucoup, beaucoup de niaisage entre Meredith et McDreamy. En même temps, je ne serais pas capable de me priver de l'immense plaisir que procure un week-end de gavage télévisuel. Vive le linge mou et le St-Hubert!

Marc Cassivi: Je ne peux pas te dire le nombre de séries que j'ai abandonnées après deux ou trois épisodes. Au risque de passer pour dépassé - la télé a tellement bonne cote ces temps-ci -, je préfère encore un bon film bien ficelé en moins de deux heures à une série qui s'étire sur 13 épisodes. Une histoire, ça peut se raconter de manière concise. Ce qui manque à trop de séries télé? Des ellipses. On n'est pas obligé de tout nous expliquer!

Hugo Dumas: Le problème, c'est que les films bien ficelés en deux heures, qui s'adressent à un public qui ne tripe pas nécessairement sur les superhéros, se font de plus en plus rares. Et dans nos salons, on ne se fait pas déranger par des impolis qui textent dans le noir ou des goinfres qui mastiquent leur pop-corn comme du bétail de ferme. Les séries télé permettent d'aller tellement plus loin dans les intrigues et l'étude des personnages, non?

Marc Cassivi: Tu sais comme je déteste le pop-corn, et surtout le bruit des mastiqueurs de pop-corn! Tu as raison pour les possibilités de la série télé. En même temps, j'ai l'impression que les scénaristes se perdent en conjectures à force d'avoir autant de liberté. Inévitablement, ils en font trop: les personnages deviennent moins crédibles; leurs péripéties, rocambolesques. J'ai presque toujours ce sentiment à l'épisode 5 de la deuxième saison d'une série que j'aime...

Hugo Dumas: C'est le syndrome Netflix. Les épisodes s'étirent (genre Bloodline!) et ça mériterait d'être grandement resserré. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai abandonné House of Cards l'an dernier, sans la terminer. Ciao, bye. On dirait que Frank et Claire ne me surprenaient plus du tout. Tu me traiteras sans doute de populiste, mais, des fois, un gros soap bien fignolé comme Scandal ou Empire, c'est pas mal plus captivant qu'une trop longue série qui se regarde le nombril pendant des heures et des heures. Au suivant!

Marc Cassivi: Moi, te traiter de populiste! Voyons donc? Depuis le temps qu'on se connaît, cher voisin de bureau! Je reste fidèle à House of Cards, même si je te l'accorde: un président meurtrier de plus en plus machiavélique, c'est assez peu crédible merci. Tu me traiteras sans doute d'élitiste, mais je n'ai pas encore vu une série télé qui ait atteint, même en six saisons, la maestria d'un film de Michael Haneke. Je ne veux pas repartir de vieux débats, mais il y a tant de choses qui peuvent s'exprimer dans le non-dit. La télé, c'est souvent verbeux et peu subtil.

Hugo Dumas: Question sérieuse: préférerais-tu te taper un marathon des films de Michael Haneke (j'ai adoré La pianiste, soit dit en passant) ou une séance de boulimie d'un grand classique de la télé comme The Sopranos ou The Wire? Tu connais ma réponse. Go, Tony, go!

Marc Cassivi: Sérieusement, je me taperais un marathon de films de Michael Haneke. Mais en sachant que le lendemain, il fait beau et chaud. Je suis fait fort, mais pas tant que ça quand même. Haneke en rafale, c'est du dense et du sombre pas à peu près. Moi, la question qui me taraude, c'est Gilmore Girls ou Felicity? Quand Keri Russell a fait couper sa tignasse frisée, j'ai décroché. Lorelai, elle, ne m'a jamais déçu.

Hugo Dumas: Sérieux, c'est impossible de choisir entre Felicity et Lorelai. C'est comme demander à un parent lequel de ses deux enfants il préfère. Mais, bon. Si le père d'Olivia Pope me faisait subir le supplice de la noyade, j'avouerais un penchant plus fort pour Felicity (pardonne-moi Lorelai!). Parce que cette émission a parfaitement mis en images l'étape charnière que représente le passage de l'adolescence à l'âge adulte, sans tomber dans le cucul. Et parce que les bouclettes de Felicity ont fini par repousser. Autre question qui tue: pourquoi HBO ne produit-elle plus de petits bijoux comme Six Feet Under? Le meilleur de la télé américaine se trouve maintenant sur Netflix, FX, Showtime ou Amazon. Mais de moins en moins sur HBO.

Marc Cassivi: Mon plaisir coupable de la jeune vingtaine, c'était Felicity. Mais je n'ai jamais retrouvé le bonheur de regarder une série en rafale comme Six Feet Under. C'est la première série qui m'a fait cet effet-là. La famille Fisher, les morts pas possibles des débuts d'épisodes. Ça repasse en ce moment sur la chaîne Unis, doublé en français, et je me surprend à rester à l'écoute. Moi qui suis allergique aux doublages en français. Il y a juste Six Feet Under et Sex and the City, en français à l'époque à Séries +, que j'ai aussi regardées doublées. Le bonheur de Netflix, cela dit, c'est d'avoir accès à tout, immédiatement. Master of None (je me suis rendu à quatre épisodes), Love (je me suis arrêté au deuxième pour l'instant). Faut juste que je développe ma patience. Et que je trouve du temps!

Hugo Dumas: C'est quoi ça, Unis? O.K., mauvaise blague. Mon petit plaisir à moi, c'est Pretty Little Liars. C'est devenu ridicule, invraisemblable, mais je tiens absolument à me rendre jusqu'au bout. Ça fait six ans que je me farcis une vingtaine d'épisodes par année de PLL, je veux toujours bien savoir qui veut autant de mal à mes petites Spencer, Aria, Hannah et Emily. Pour la patience, tu n'as pas à stresser là-dessus: il y a tellement d'offres télé ces temps-ci que si tu n'accroches pas après trois ou quatre épisodes, c'est parfaitement légitime de dire, comme dans le film Mommy de Xavier Dolan, «sayonara ma guédaille», je m'en vais voir ailleurs. Le pouvoir, c'est nous, les téléphiles, qui le détenons. Kampaï!

Photo archives La Presse

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