Ces comédiens au sommet de la pyramide empochent des cachets grimpant dans les six chiffres pour leur participation à des séries populaires, qui divertissent des millions de Québécois, semaine après semaine.

Est-ce scandaleux? Pas du tout. Si ces étoiles du petit écran encaissent des sommes aussi costaudes, c'est qu'elles en rapportent pas mal plus aux grands réseaux de télévision. Par contre, obtenir des chiffres précis sur ces salaires, payés très souvent par des fonds publics, s'est révélé être une mission aussi complexe que délicate. Aucune des personnes contactées n'a voulu ouvrir ses livres comptables. Le travail de collecte de données s'est donc fait de façon confidentielle.

Au Québec, les producteurs d'émissions paient, en règle générale, les comédiens par journée de tournage. L'échelle des salaires pour un premier rôle débute autour de 1000$ par jour de tournage - un tarif plancher établi par l'Union des artistes (UDA) - et grimpe jusqu'à 5000$ dans le cas des plus grosses vedettes. Par contre, à 5000$, c'est le forfait «premium», réservé à une poignée de stars, qui se comptent sur les doigts des deux mains.

Roy Dupuis et Guylaine Tremblay auraient obtenu autour de 5000$ par jour de tournage pour la deuxième saison des Rescapés à Radio-Canada, une information relayée à La Presse par un agent impliqué dans les négociations. Il s'agirait de l'un des plus gros cachets négociés récemment pour une télésérie québécoise. La productrice des Rescapés, Joanne Forgues, n'a pas voulu commenter ces chiffres, rappelant le caractère confidentiel des contrats qu'elle paraphe.

L'agente de Guylaine Tremblay, Mona Portelance, n'a pas rappelé. La représentante de Roy Dupuis, Hélène Mailloux, de l'agence Premier rôle, n'a ni nié ni validé nos informations, précisant toutefois «que Vice caché avait aussi versé de gros cachets à ses acteurs».

«Les acteurs sont payés selon la loi du marché. À 150 000$ de salaire pour une seule série, ça commence à faire beaucoup. On est dans les gros salaires. Oui, il y a quelques acteurs qui font beaucoup d'argent. En même temps, je ne trouve pas ça énorme pour un métier qui ne durera pas éternellement», confie un producteur influent, qui désire conserver l'anonymat.

Photo: fournie par Radio-Canada

Guylaine Tremblay et Roy Dupuis, les parents dans Les rescapés.

Les comédiens très sollicités, ceux dont les visages reviennent sur plusieurs chaînes, touchent entre 2300$ et 3500$ par jour de tournage. Par exemple, l'acteur ou l'actrice qui incarne le prof dans 30 vies peut recevoir entre 3000$ et 4000$ par journée de tournage. Par contre, il est quasi exclusif à la production de Fabienne Larouche.

Les acteurs connus, mais qui n'ont pas la notoriété d'une Céline Bonnier ou d'un François Papineau, négocieront autour de 1500$ par jour de tournage. La majorité engrange entre 1500$ et 1800$ par jour de tournage.

Prenons un autre exemple: 19-2 nécessite 80 jours de tournage pour une saison complète. Admettons que Réal Bossé et Claude Legault figurent à l'horaire de tournage pour 65 jours chacun. À un tarif fixé à 3000$ par jour de tournage, ce qui n'est pas très élevé, ils retireraient 195 000$ chacun pour camper les agents Berrof et Chartier.

Dans Trauma, un personnage principal hérite d'environ 40 jours de tournage sur un calendrier en comptant 72. Dans Mémoires vives, la vedette participera à une cinquantaine de jours de tournage sur une possibilité de 72. Des séries comme Unité 9 et Yamaska se bouclent sur des périodes respectives de 102 et 105 jours de tournage.

Photo: fournie par Aetios

Mélissa Désormeaux-Poulin dans 30 vies.

La valeur d'une vedette

Notre star système n'échappe pas à la règle de la popularité: les comédiens ne «valent» pas tous la même chose sur le marché. Anne Boyer, auteure et productrice (Yamaska, Un sur deux), note: «Quand tu pars une série, tu veux une grosse vedette», glisse-t-elle. Et une vedette qui génère de la cote d'écoute, ça se paye à fort prix.

Au top de l'échelle, les acteurs engrangent des sommes considérables. «Ils sont gâtés. En plus, ils ont quatre mois de vacances. Personne n'a ça au Québec», rouspète un producteur qui roule sa bosse depuis les années 90.

N'oublions pas que les acteurs riches forment une minorité, insiste la présidente de l'Union des artistes, Sophie Prégent. Sur les 8000 membres de l'UDA, seulement 200 acteurs auraient le pouvoir de négocier leurs cachets, estime Sophie Prégent. «Et 80% de nos membres vivent sous le seuil de la pauvreté de 20 000$ par année», ajoute-t-elle.

Vrai, confirme l'agent Maxime Vanasse, qui représente des stars telles que James Hyndman, Pascale Bussières et Anne-Marie Cadieux. «La majorité des acteurs tire le diable par la queue. En général, les gens ne se dirigent pas dans ce métier-là pour faire de l'argent», constate Maxime Vanasse.

Trop délicat, trop personnel: notre tentative de récolter des témoignages à visière levée sur le salaire des comédiens au Québec a de nouveau prouvé que l'argent, ça ne se discute pas en public. Cette anecdote incarne parfaitement le malaise qui persiste entre le grand public et les comédiens dont le T4 s'approche de celui d'un médecin. «J'ai un acteur très connu qui hésite avant de s'acheter une voiture trop ostentatoire. Il a l'impression qu'il sera moins perçu comme un artiste parce qu'il fait beaucoup d'argent», nous a confié un agent d'artistes.

Photo fournie par Bernard Calmeau

Martin Matte et Julie LeBreton dans Les beaux malaises.

Comédiens qui se dédoublent

Les budgets des téléséries fondent, tandis que les salaires des acteurs, eux, demeurent relativement stables, entend-on. En effet, il ne se tourne plus de séries à 1 million de dollars l'heure. Conséquence? Les cachets des comédiens grugent une portion de plus en plus importante de la facture totale d'une télésérie, ce qui irrite des producteurs.

«Les agents bookent leurs acteurs sur deux ou trois séries en même temps. Après ça, construire des horaires de tournage, ça devient l'enfer», confie une source impliquée dans la production télé, autant à TVA qu'à Radio-Canada, depuis 20 ans.

Son de cloche complètement différent de l'agente Hélène Mailloux, qui représente Céline Bonnier et Danielle Proulx, entre autres. «La négociation est quasiment impossible dans la plupart des cas. Les producteurs nous disent que les budgets sont serrés et que ce qu'ils nous offrent est à prendre ou à laisser. Si la production veut absolument notre acteur, là, nous avons un certain pouvoir de négociation», explique-t-elle.

L'indisponibilité des comédiens qui bossent sur différents plateaux cause effectivement de gros maux de tête. «J'aimerais ça payer tous les acteurs un peu plus pour qu'ils ne soient rattachés qu'à une seule production et qu'ils ne soient pas portés à faire mille affaires. Mais nous n'avons pas les moyens d'engager quelqu'un de façon exclusive», constate Anne Boyer de Duo Productions.

Photo: archives La Presse

La comédienne Hélène Florent est l'ambassadrice de la deuxième édition de l'événement Le jour le plus court.