L'émission Enquête perdra une partie de son équipe, soit trois journalistes et un réalisateur, dans la foulée des compressions à CBC/Radio-Canada. La société d'État annonçait le 10 avril dernier que l'équivalent de 657 postes seraient abolis d'ici deux ans.

Contacté par La Presse, le journaliste Alain Gravel, animateur de l'émission, dénonce la situation.

«L'équipe d'Enquête compte autour de 25 collaborateurs, dit-il. Cela peut sembler beaucoup, mais pour faire ce que l'on fait, ce n'est pas trop. Nous ne comptons pas nos heures et tous ceux qui travaillent ici sont extrêmement dévoués. Pour faire de l'enquête, ça prend du temps et ça prend une structure organisationnelle qui soutient notre travail. Le fait de perdre quatre personnes aura des conséquences, c'est certain.»

Selon lui, ces conséquences pourraient se traduire par moins d'enquêtes réalisées, donc moins d'émissions dans la prochaine saison. Il pourrait y avoir plus de rediffusions, plus de reportages achetés à l'étranger ainsi que plus d'échanges avec le pendant anglophone d'Enquête, The Fifth Estate, diffusé à CBC.

Il rappelle qu'en plus de travailler sur leurs enquêtes, les journalistes de l'émission doivent régulièrement faire d'autres reportages ou participer aux bulletins de nouvelles et à d'autres émissions. Au cours d'une année, lui-même fait une centaine d'apparitions dans les médias en dehors d'Enquête. Sans compter le temps passé à gérer les nombreuses poursuites, mises en demeure et plaintes qu'ils reçoivent de la part des individus faisant l'objet de reportages.

«Avec d'autres médias qui font de l'enquête, nos reportages ont contribué à sauver des dizaines de millions à la société en révélant la corruption, dit Alain Gravel. La première année que nous avons fait l'émission, la Ville de Montréal a annoncé que les coûts des grands travaux publics avaient été réduits de 30%, et ce, avant même qu'aucune enquête policière ne soit effectuée, uniquement grâce à la force de l'information.»

Selon lui, les compressions au sein des services d'information francophones de Radio-Canada totaliseraient 30 millions depuis cinq ans.

Réactions

À Radio-Canada, on confirme que ces quatre postes seront abolis.

«On ne peut pas nier que ces mesures auront un certain impact, mais il faut être prudent quand on évoque une baisse de qualité dans l'émission, dit Marc Pichette, directeur relations publiques et promotion télévision à Radio-Canada. On veut préserver la qualité de l'émission, c'est certain. Nous savons que c'est une émission importante, autant pour nous que pour le public.»

Alex Levasseur, président du Syndicat des communications de Radio-Canada, explique que les quatre personnes dont les postes sont abolis pourront être réaffectées ailleurs, prenant par conséquent la place de collègues ayant accumulé moins d'années d'ancienneté.

«En fin de compte, ce sont les plus jeunes qui vont devoir quitter, dit-il. Mais si, au bout de tous les processus de réaffectation, on ne regarnit pas le module d'enquête de Radio-Canada, cela signifie qu'on vient de décapiter une équipe qui fonctionne et qui donne des résultats.»

Débat public

À la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, on commente ces coupes à Enquête à travers une critique plus large de la mission publique de Radio-Canada.

«Nous avons déjà dénoncé de façon globale les compressions à Radio-Canada et on rappelle un principe élémentaire: il faut des journalistes pour faire du journalisme, dit Brian Myles, vice-président de la FPJQ. Il faut élargir le débat et se poser la question: à quoi sert Radio-Canada? Est-ce qu'on veut avoir un diffuseur public, et est-ce qu'on veut qu'il soit fort?»

La FPJQ réclame un débat public sur la question, souligne le vice-président. «Il semble y avoir une volonté chez le gouvernement conservateur de laisser mourir Radio-Canada à petit feu. J'espère que la population et les partis d'opposition vont se mobiliser. Peut-être que le cas d'Enquête va servir d'électrochoc pour attirer l'attention du public. Les électeurs doivent réaliser que s'il n'y avait pas de journalisme d'enquête, aujourd'hui on n'aurait pas de commission Charbonneau.»

Aucun des intervenants interrogés par La Presse n'a voulu révéler les noms des quatre employés dont les postes sont abolis.