Colloques, cours à l'université, livres, comparaisons avec les plus grandes oeuvres de la littérature ou du cinéma: les séries télévisées sont devenues des objets d'étude à part entière, analysées tant pour leurs qualités artistiques que pour leur valeur sociologique ou historique.

Mi-novembre, le prestigieux CNRS français, organisme scientifique public, organisait un débat sur le thème «Comment les séries changent-elles le monde?», venant allonger la liste des nombreux forums de chercheurs et rencontres sur le sujet depuis une dizaine d'années.

Longtemps considérées comme un divertissement peu digne d'intérêt intellectuel, les séries ont gagné enfin en France depuis les années 2000 leurs lettres de noblesse universitaires.

Pourtant, elles «font déjà l'objet d'études académiques depuis plus de trente ans aux États-Unis et en Grande-Bretagne», souligne Barbara Villez, professeur de droit en anglais à l'université de Paris 8, qui a fondé en 2010 le réseau international de chercheurs S.E.R.I.E.S. (Scholars Exchanging and Researching on International Entertainement Series).

«Pendant une quarantaine d'années, les séries télé ont été extrêmement méprisées par les intellectuels. Et d'un seul coup, avec la télévision de qualité aux États-Unis et le passage au câble  au début des années 90, il y a eu une sorte de révélation», renchérit l'écrivain et philosophe Tristan Garcia, auteur d'un essai sur Six Feet Under. Selon lui, la série, qui raconte le quotidien d'une famille de croque-morts, «nous apprend à mourir».

«Aujourd'hui, les séries ont une légitimité culturelle totale. Tout le monde les considère comme étant plus ou moins «le grand roman de notre époque»», ajoute le romancier, qui compare Six Feet Under aux oeuvres de Proust ou de Dostoïevski.

«Le choc que j'ai eu en voyant cette série est proche de celui que j'ai eu en lisant Tolstoï ou en voyant Fanny et Alexandre de Bergman».



«Oeuvres culturelles»


Spécialistes des médias mais aussi historiens, sociologues, littéraires, anglicistes, philosophes ou géographes travaillent aujourd'hui sur les séries, analysant ce qu'elles disent sur leur époque, les lieux où elles se déroulent ou leur construction narrative.

L'historienne Marjolaine Boutet a ainsi étudié par exemple la réhabilitation de l'ancien combattant du Vietnam dans les séries américaines des années 1980, tandis que le géographe Bertrand Pleven s'est penché, dans un article, sur le générique de la série de fantasy médiévale Game of Thrones et sa «géographie réactionnaire».

«On ne les étudie pas juste comme des programmes de flux télévisuels, mais comme des oeuvres culturelles, qui transmettent une certaine vision du monde et une certaine façon de narrer», explique Sarah Hatchuel, professeur de littérature anglaise à l'université du Havre, spécialiste de Shakespeare mais aussi de Lost.

Cette fresque fantastique a selon elle «profondément transformé nos attentes en termes de complexité narrative dans les séries».

Les séries aujourd'hui «jouent sur le temps long, avec des possibilités de créer des échos, des phénomènes d'intertexte entre les épisodes, les saisons», ajoute la chercheuse, qui enseigne également sur les séries.

Les livres se multiplient aussi. La très sérieuse maison d'édition des Presses universitaires de France (PUF) a ainsi lancé en 2012 une collection dans laquelle les séries sont décryptées par des spécialistes des sciences humaines ou sociales.

Parmi eux, Virginie Marcucci, docteur en civilisation américaine, qui s'est intéressée au féminisme dans Desperate Housewives, ou Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de la collection, qui a analysé 24, une oeuvre «révélatrice de la manière dont la société américaine se représente elle-même, représente la lutte contre le terrorisme ou le débat sur la torture», explique-t-il.

«Une série doit être considérée comme n'importe quelle oeuvre», ajoute cet enseignant en droit de la guerre, qui n'hésite pas à utiliser Generation Kill, sur la guerre en Irak, dans ses cours à l'Institut d'Études politiques de Paris et à l'École militaire de Saint-Cyr.