Chaque semaine dans les années 90, des milliers de téléspectateurs québécois étaient rivés à leurs écrans de télévision pour regarder des apprentis cinéastes parcourir le monde, caméra à l'épaule, à la recherche d'histoires humaines, de reportages-chocs, d'images percutantes. Un gentil animateur qui incarnait la figure du grand-frère bienveillant - Pierre Therrien - et trois juges parfois méchants notaient et évaluaient leurs films devant le public qui défendait bec et ongles ses concurrents préférés. C'était l'époque de la Course destination monde (puis Europe-Asie, Amérique-Afrique, etc.) qui nous a fait découvrir les Denis Villeneuve, Philippe Falardeau, Patrick Masbourian, Sophie Lambert, etc. La guerre froide était terminée, la génération des 20 ans souhaitait faire éclater les frontières et se déclarait désormais «citoyens du monde». La Course destination monde et ses incarnations subséquentes reflétaient parfaitement cet état d'esprit et les jeunes téléspectateurs se reconnaissaient dans le goût de l'aventure des concurrents.

Vingt ans plus tard, nous sommes de nouveau rivés devant le petit écran à regarder des concurrents se faire compétition devant un panel de trois juges critiques (mais pas mal moins méchants). Il s'agit de l'excellente émission Les chefs! dont la grande finale sera diffusée lundi soir à la télé de Radio-Canada.

La grande différence, c'est que les jeunes qui évoluent sous nos yeux n'essaient plus de conquérir l'Himalaya ou de découvrir une tribu méconnue de la Papouasie. Ils rêvent plutôt de réussir parfaitement leur foie gras poêlé ou de maîtriser la cuisson sous vide. La caméra a cédé la place au Thermomix et le plan de montage, au plan des ingrédients à assembler.

Que s'est-il passé? Comment expliquer que «l'aventure» telle que nous la présente la télé des années 2010 se déroule non plus à l'échelle de la planète, mais bien entre les quatre murs d'une cuisine laboratoire? Les jeunes Québécois n'ont pourtant pas perdu l'envie de voyager...

Bien sûr, il y a les diminutions de budgets qui rendent difficile le financement d'émissions qui font voyager des jeunes aux quatre coins du monde (une formule nouveau genre du concept de la Course, la course Évasion autour du monde, a été diffusée durant deux saisons sur la chaîne Évasion, mais l'émission bénéficiait de plusieurs commandites et n'a pas connu le succès de la Course destination monde).

Mais il n'y a pas que les compressions budgétaires qui expliquent la popularité d'une émission comme Les chefs!. Il suffit de regarder la programmation télé québécoise depuis quelques années pour réaliser que nous sommes de moins en moins ouverts sur le monde, de plus en plus centrés sur notre bien-être, notre confort.

Les émissions consacrées à l'art de vivre ont la cote. Télé-Québec présente plusieurs émissions de cuisine, on ne compte plus les émissions de décoration sur Canal Vie. Même Radio-Canada, qui a retiré de sa grille son émission d'information internationale Une heure sur terre, présente deux émissions de cuisine par jour. Loin d'être en perte de vitesse, la tendance cocooning prend de l'ampleur, se démultiplie. Les jeunes de la Course rêvaient de quitter le nid pour explorer de nouveaux horizons. Aujourd'hui, on aménage ce nid de telle façon qu'il devient de plus en plus difficile de s'en éloigner.

La Course était une invitation à se mettre en danger, à se dépasser, à aller plus loin. Les concurrents des Chefs aussi se dépassent, mais ils le font entre les quatre murs rassurants de leur atelier.

Peut-être parce que le monde est devenu tellement complexe qu'il est plus facile de séparer le blanc du jaune d'oeuf que de comprendre les enjeux de la crise syrienne? Les concurrents des Chefs aussi nous font voyager, non pas par leurs voyages et leurs aventures, mais plutôt par les saveurs et la cuisine du monde. C'est peut-être tout aussi exotique, mais c'est beaucoup moins dangereux.

#Onaime

À la première saison de l'émission Les chefs!, Daniel Vézina semblait un peu coincé. Le chef a pris de l'assurance au fil des saisons et cette année, il est vraiment parfait. À mi-chemin entre le coach et le papa-poule, on sent son affection pour les apprentis chefs et il a toujours un bon mot pour les concurrents éliminés. Quant à ses ateliers, ils sont toujours captivants.

#Onaimemoins

Y a-t-il un styliste dans la cuisine des Chefs? Certaines semaines, les motifs et les couleurs des vêtements des juges s'entrechoquent à l'écran. Peuvent-ils s'appeler la veille? Ou confier la coordination de leurs vêtements à un oeil exercé? Pour des professionnels qui jugent l'aspect visuel des assiettes, ce ne serait pas un luxe.