Du taxi qui roule doucement sur la petite route, on peut apercevoir des champs très verts avec des moutons, des arbres joufflus et des maisons aux toits de chaume. Il fait soleil, mais une brume matinale donne à l'espace un air romantique. On est dans la chic campagne anglaise, celle qu'on a appris à aimer dans les plus belles fresques d'époque, de Barry Lyndon à Retour à Howard's End.

Derrière les vallons, on s'attend à voir surgir des châteaux, des chasseurs à chevaux avec leurs meutes de chiens de race, dressés au doigt et à l'oeil, des domestiques en livrée...

Et c'est à peu près ce qui se passe.

Au loin, soudainement, se dresse le château de Highclere bien vrai, si parfaitement ciselé avec ses tourelles et ses mille parapets qu'on a de la peine à croire qu'il n'a pas été construit pour devenir un décor de cinéma. Devant, des caméras et des acteurs en costumes sont occupés à recréer une scène du début du siècle dernier.

Ils tournent la troisième saison de Downton Abbey, une série produite par Julian Fellowes, «oscarisé» pour le scénario de Gosford Park. D'abord au Royaume-Uni, puis aux États-Unis - où elle est diffusée par PBS actuellement - et maintenant partout dans le monde, la série connaît un succès fulgurant. On pourra voir la première saison en version française sur les ondes de Radio-Canada, dès le samedi 12 janvier, à 20 h.

Le personnage principal de cette reconstitution historique? Le château de Highclere, renommé Downton, où habitent à la fois les riches et nobles Crawley, dont Lady et Lord Grantham, comte et comtesse du château, et leurs employés. Les intrigues tournent autour des hauts et des bas de la vie de ces gens à la fois très proches, mais que les classes sociales séparent implacablement. Le tout se déroule sur fond de transformation sociale et politique. La série commence avec le naufrage du Titanic, en 1912. Suivront la guerre, l'épidémie de grippe espagnole, le tout mélangé avec l'arrivée du téléphone, de l'électricité, des suffragettes...

Officiellement, la série n'est pas calquée sur la vie de ce château on ne peut plus réel, qu'on peut visiter, où un «Earl», une comtesse et leur famille continuent d'habiter.

Mais en fait, Downton frôle constamment la réalité: Highclere a connu des personnages proches de ceux qui y sont décrits. Au point où le livre écrit par la comtesse des lieux, Fiona Carnarvon, au sujet de la maîtresse de maison du début du siècle dernier, Lady Almina and the Real Downton Abbey, est devenu dans le monde anglo-saxon un best-seller qui se lit comme un roman.

Lady Carnarvon

Le petit salon du château où je rencontre Lady Carnarvon pourrait tout à fait servir de décor à la série. Les fauteuils anciens ont des imprimés floraux, les pots de porcelaine chinoise accueillent de beaux géraniums. Sur les murs, des portraits féminins montrent eux aussi qu'on est bien dans le salon des dames, loin des «lounges» masculins aux bibliothèques bien garnies, où l'on fume le cigare avec un verre de whisky écossais.

Sur un mur, le profil de Lady Almina s'impose.

«Elle a vraiment donné sa vie aux autres, pour rendre la vie des autres meilleures», commente Lady Carnarvon, qui vient d'arriver, vêtues d'un jean et d'une redingote de velours violet.

Comme le personnage de Cora Crawley dans la série, Lady Almina a en effet transformé le château en hôpital pendant la Première Guerre mondiale, pour qu'on y prenne soin des blessés ne pouvant aller ailleurs. On dit qu'elle a alors rempli le château d'infirmières attentionnées et qu'elle prêtait même ses voitures aux convalescents, entretenant avec eux de longues correspondances après leur départ.

De plus, la vraie Lady Almina, riche héritière - comme Cora dans la série - a aidé son mari à poursuivre une passion pour l'archéologie en Égypte. Elle a aussi fondé un autre centre de convalescence pour les soldats blessés à Londres...

De la fiction à la réalité

«Il y a la série, mais il y a aussi la réalité, précise Lady Carnarvon. Je tenais à dire ce que ces gens étaient vraiment. J'espère que mon livre plaît, fait à la fois rire et pleurer.»

Dans la série télé, le rôle des domestiques est aussi central. On dirait qu'ils sont légion, mais en fait, explique Lady Carnarvon, ils sont moins nombreux à la télé qu'ils l'étaient en réalité. «Il y a 100 ans, il y a avait une soixantaine de personnes qui vivaient et travaillaient ici», dit-elle. Dans la série, ils sont à peine une douzaine. Aussi, note-t-elle, les vêtements étaient de couleurs beaucoup plus joyeuses, pas le noir et blanc très strict que l'on observe au petit écran.

Aujourd'hui, il n'y en a plus beaucoup qui vivent encore sur place, seulement quelques-uns, affirme Lady Carnarvon.

Cela dit, la vie d'aujourd'hui à Highclere n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'elle était au début du siècle. Le château est devenu un site touristique, il est loué pour la télé et on peut le réserver pour y célébrer un mariage. Le personnel accueille les visiteurs et explique l'histoire du bâtiment construit en 1838.

Est-ce étrange d'ouvrir sa maison aux visiteurs et à des millions de téléspectateurs? «J'ai toujours su qu'en vivant ici, je devais partager son histoire avec les autres, répond Lady Carnarvon. Ça me va. J'adore l'Histoire et il est important d'aider tout le monde à s'y intéresser. On ne peut qu'apprendre sur nous-mêmes en sachant ce que les autres ont traversé.»

Le phénomène Downtown Abbey

Au Québec, les deux premières saisons de Downton Abbey sont offertes en version originale sur DVD et sur iTunes. Les versions doublées seront diffusées à partir du 12 janvier à Radio-Canada.

La troisième saison en version originale a été diffusée à l'automne en Grande-Bretagne et vient de commencer ici, sur PBS, le dimanche soir.

Depuis sa sortie au Royaume-Uni à l'automne 2010, la série ne cesse de récolter honneurs et cotes d'écoute spectaculaires. Jusqu'à 12,5 millions d'audimat par épisode, lors de la diffusion de la deuxième saison, seulement en Grande-Bretagne. La série a aussi connu un succès immense en France, où elle est diffusée par TMC.

Les acteurs les plus connus de la série sont Maggie Smith, qui incarne une douairière aux répliques assassines - «J'en ai déjà rencontré des pareilles dans la vraie vie», nous a confié Lady Carnarvon au sujet de ce personnage délicieux - et l'Américaine Elizabeth McGovern, qui joue le rôle de Cora Crawley, Lady Grantham. Dans la troisième saison, Shirley MacLaine interprète la mère de Cora.