Ces temps-ci lorsque Ève Landry se promène à Montréal, on lui sourit, on la salue et on lui lance affectueusement: fais pas de mal à NOTRE Guylaine! Il n'a fallu qu'un seul rôle - celui de la méchante Jeanne dans Unité 9 - pour qu'Ève Landry devienne du jour au lendemain la coqueluche du public et des médias.

Ève Landry avait 16 ans, la toute première fois de sa vie qu'elle a mis les pieds à Montréal. Elle était descendue de Saint-Pascal de Kamouraska avec sa mère, une comptable dans une entreprise d'excavation, pour la journée portes ouvertes au Conservatoire d'art dramatique de Montréal. Deux ans plus tard, elle était acceptée dès sa première audition. Et trois ans plus tard, on peut la voir dans le documentaire de l'ONF, J'me voyais déjà, à quelques heures de l'obtention de son diplôme. Assise sur le balcon de son logement dans l'Est, elle contemple d'un air songeur la grande ville et les défis qui l'attendent sans être tout à fait convaincue qu'elle va arriver à y faire sa place. C'était il y a cinq ans. Autant dire un siècle pendant lequel Ève Landry a fait ses classes au théâtre sur des scènes confidentielles, dans des petits rôles au cinéma avant de brusquement quitter l'anonymat pour devenir, grâce à la série Unité 9, sinon une star, du moins un visage connu et un sujet d'intérêt pour les magazines à potin.

«Tout ce qui m'arrive en ce moment, ça fait plaisir à la petite Ève de 8 ans, qui regardait Les démons du midi avec son père ou alors le gala des Gémeaux en s'extasiant devant toutes ces belles dames et ces messieurs bien mis, qui reçoivent des prix et qui disent qu'ils s'aiment. Avant que je découvre le théâtre, mon premier contact avec le milieu, a été à travers Échos Vedettes et la télé et aujourd'hui pour la petite Ève de 8 ans, c'est un rêve devenu réalité», raconte Ève Landry dans un café de la rue Masson à un coin de rue d'où elle vit.

La petite Ève, une petite fille du Bas-du-Fleuve qui a grandi loin de la fureur de la ville, est donc comblée. Et d'autant plus qu'elle sait que la télé est la seule façon de rejoindre sa grand-mère et les gens de son patelin et de leur montrer le fruit de son travail.

Pour ce qui est de la grande Ève de 27 ans, celle qui sait que dans ce métier rien n'est assuré et qu'on peut aussi vite quitter l'anonymat qu'y revenir, elle savoure le moment sans rien tenir pour acquis.

La première chose que je remarque en lui serrant la main sur le trottoir devant chez elle, c'est qu'en personne Ève Landry est plus jolie que la Jeanne, dure, tatouée et survoltée d'Unité 9: plus jolie, plus féminine et surtout plus jeune. C'est d'ailleurs pour cela qu'au départ, elle avait auditionné pour le rôle de Laurence, qui a finalement été confié à Sarah-Jeanne Labrosse. «Tout de suite, j'ai eu le feeling que le rôle de Laurence n'était pas pour moi. Il fallait que je pleure et pleurer, c'est pas ma tasse de thé. On dirait que j'ai de la misère à trouver le piton pour pleurer sur commande.» L'actrice allait quitter la salle d'audition lorsque la directrice de distribution, Lucie Robitaille, remarquant aussi bien sa coupe mohawk que son énergie explosive, lui a demandé d'auditionner pour le rôle de Jeanne. «J'ai appris le texte en cinq minutes en sentant cette fois, que oui, ce rôle-là était pour moi.»

La partie n'était pas gagnée pour autant. Ève Landry a dû auditionner trois fois de plus. Elle était pourtant la candidate idéale pour le rôle, mais elle n'était pas connue. Le réalisateur Jean-Philippe Duval, qui l'avait engagée pour un petit rôle dans Dédé à travers les brumes, a insisté et insisté. Finalement, les producteurs ont décidé de prendre le risque de l'engager, sans évidemment imaginer que le public l'adopterait aussi vite.

«Le fait que je sois inconnue a finalement joué en ma faveur, dit-elle. Les Québécois sont curieux et aiment la nouveauté et, surtout, ils adorent détester un personnage et Jeanne leur en fournit amplement l'occasion.»

Le grand paradoxe de cette affaire, c'est qu'il n'y a pas fille plus éloignée du personnage de Jeanne qu'Ève Landry.

Élevée en pleine nature entre le bois et le fleuve, cette fille du Bas-du-fleuve vient d'une famille unie et tricotée serré qu'elle a quittée à regret et dont elle s'ennuie encore. Tout comme elle s'ennuie de sa grand-mère et des gens de son village. La chicane, elle ne connaît pas. «En apparence, je peux paraître bête, arrogante et tough, mais en réalité, je suis viscéralement incapable d'être méchante. Je ne me suis jamais chicanée avec mes chums et les fois où c'est arrivé, c'était le signe pour moi que c'était fini entre nous.»

En même temps, Ève la bonne fille est profondément fascinée par les mauvaises filles. «Le monde de la rue me fascine. J'adore observer les sans-abri, les putes, les punks. Je vais souvent leur parler. J'aime leur énergie et leur attitude, même si je ne comprends pas tout à fait comment ils font pour se rendre aussi loin dans la défonce. Moi, si je prends une brosse un soir, ça me prend trois jours à m'en remettre. Eux ils font ça jour après jour.»

À 8 ans, Ève Landry rêvait d'aller au gala des Gémeaux. À 12 ans, elle s'est mise à faire de l'impro et à découvrir le bonheur d'être sur scène. Mais la vraie révélation est arrivée pendant sa 5e secondaire. Cette année-là, sa mère l'a abonnée au Théâtre de Rivière-du-Loup. Elle se souvient avoir vu La Tempête de Shakespeare et Le mal de mère avec Janine Sutto et Roger LaRue. Le soir de la représentation, Janine fêtait ses 60 ans de théâtre. La jeune Ève venait de découvrir avec ravissement qu'on pouvait faire ce métier-là toute une vie durant.

Le mardi 16 octobre, pendant que Jeanne moisira au fond du trou au petit écran, Ève Landry retrouvera les planches des Écuries dans la pièce Hamlet est mort: gravité zéro. Puis en novembre, elle s'en ira en Europe pour deux mois. Et au printemps prochain, elle sera au TNM et fera partie du choeur de la version musicale de Sainte Carmen de la Main.

Mais cette semaine grâce au MipCom, l'actrice s'est retrouvée sur le tapis rouge à Cannes comme une star, en robe sexy et talons hauts. Inutile de dire que la petite Ève de 8 ans était aux anges.

Tout sur Ève Landry

1) Naissance

5 juin 1985 à Saint-Pascal de Kamouraska. Sa mère: France Caron, comptable pour une entreprise d'excavation. Son père: Yvon Landry, conducteur de machinerie lourde. Une seule soeur, enseignante.

2) Était de la même promotion que

François Arnaud, vedette des Borgias, Anne Elisabeth Bossé, de 30 Vies et des Amours imaginaires de Xavier Dolan, Cinthia Wu-Maheux, de Trauma.

3) On l'a vue sans la voir

En blonde de Pat Esposito dans Dédé à travers les brumes. En déficiente intellectuelle dans Virginie. En courrier à vélo dans Rumeurs. Et en voix off et onctueuse dans une pub pour Febreze.

4) Dans 10 ans, elle se voit

Toujours comédienne au théâtre, à la télé et au cinéma. Mère d'au moins un enfant.