La semaine prochaine, l'école du Vieux-Havre de 30 vies nous présentera un nouveau visage: Vincent «le Pic» Picard, prof d'histoire et homme d'action, éprouvé par la vie et père d'un bébé naissant. Pour Guillaume Lemay-Thivierge, cette nouvelle aventure à la télé, dans le monde scolaire, est autant un défi qu'une douce vengeance sur son passé.

Cancre n'est sans doute pas le mot juste pour décrire l'élève Guillaume Lemay-Thivierge. Mais on ne peut pas non plus parler d'un premier de classe ni d'un élève modèle.

À 9 ans, déjà happé par des rôles importants au cinéma, dans Les années de rêve de Jean-Claude Labrecque, La dame en couleurs de Claude Jutra et Le Matou de Jean Beaudin, qui le révéla au grand public et en fit une vedette, Guillaume Lemay-Thivierge ne savait pas lire. Il a fait son primaire dans une école alternative fondée par sa mère, Françoise Lemay. Au secondaire, il a carrément quitté le réseau scolaire officiel pour apprendre à lire, à écrire et à compter à la maison.

Par la suite, il a bien tenté de rentrer au cégep en cinéma, mais le cégep n'a pas voulu de lui. Qu'à cela ne tienne: Guillaume Lemay-Thivierge a continué sa formation à la seule école faite sur mesure pour lui: l'école de la vie. Et même s'il fait encore des fautes de français à l'écrit, il n'est pas peu fier de son parcours de semi-décrocheur et de grand débrouillard devant l'Éternel.

N'empêche. L'idée d'incarner un prof d'histoire au secondaire le fait sourire, du sourire un peu narquois du chat qui a avalé une souris et qui s'en lèche discrètement les babines.

«C'est sûr que d'interpréter un prof d'histoire du secondaire, c'est une douce vengeance pour quelqu'un comme moi qui a eu un parcours scolaire pas comme les autres», dit Guillaume dans les bureaux de production de 30 vies au troisième sous-sol de Radio-Canada. Il est entre deux prises au milieu d'une longue journée de tournage. Sa nouvelle barbe encadre son visage aux traits fins et lui confère une certaine rugosité qui lui sied bien. Pour le reste, les lunettes de Vincent ainsi que ses foulards ont été remisés dans la salle des costumes. Pour la pause, Guillaume s'habille en lui-même.

Autour de nous, des affiches collées au mur font rayonner le visage de Marina Orsini, mais aussi ceux d'Isabel Richer, une des vedettes de Trauma, et de Stéphanie Blais, la dernière Virginie du téléroman du même nom. À ce florilège, on pourrait ajouter le nom de Karine Vanasse pour Un homme mort et celui de Sophie Lorain pour Fortier, histoire d'illustrer que, depuis 20 ans, Fabienne Larouche a donné ses premiers rôles à des femmes.

C'est la première fois qu'elle rompt avec la tradition et construit une nouvelle saison autour d'un personnage masculin: un veuf, père d'un bébé de deux semaines, qui a pour ami Rémi-Pierre Paquin et pour père Michel Rivard.

Un homme d'action

Le tout s'est joué le printemps dernier. Lemay-Thivierge a croisé l'auteure et productrice de 30 vies dans une soirée. «Fabienne m'a dit qu'elle voulait me proposer quelque chose, raconte-t-il. Je l'ai mise au défi de venir courir avec moi et Mariloup pour la trisomie 21. Elle a accepté sur-le-champ et est vraiment venue courir avec nous. J'ai aimé ça de sa part. Aimé qu'elle passe à l'action.»

Action, un mot qui revient souvent dans la bouche de Guillaume Lemay-Thivierge. Les longs palabres qui ne mènent à rien, très peu pour lui. Guillaume veut que ça bouge, que ça «clanche», que ça déménage, qu'il y ait du mouvement et des gestes concrets qui provoquent une action. C'est un esprit pratique et pragmatique dans un corps nerveux qui ne reste jamais immobile très longtemps.

Durant tout l'entretien, il ne cesse de m'encourager à sauter en parachute dans l'école de parachutisme qu'il a fondée. J'ai beau lui répéter que je préférerais me retrouver six pieds sous terre plutôt que de sauter dans le vide, il insiste. Il me fait penser aux évangélistes qui tiennent absolument à vous convertir pour sauver votre âme et en obtenir le mérite. De toute évidence, son entreprise lui tient à coeur. Plus que le métier d'acteur? Sa réponse fait la part des choses.

«Je me souviens des auditions que j'ai passées dans la vingtaine avec des acteurs qui sortaient des écoles. Je me sentais comme un imposteur jusqu'au jour où j'ai compris que j'étais capable de jouer aussi bien qu'eux, notamment parce que j'avais voyagé, vécu des affaires et que ma formation était différente, mais tout aussi valable. Des acteurs qui sortent des écoles et qui tombent entre les craques, j'en vois tous les jours. Je sais que ça pourrait m'arriver à moi aussi. C'est pour ça que j'ai plein de plans B dans mes tiroirs. Je ne veux jamais me mettre dans une situation de dépendance face au travail.

«Quand j'accepte de m'engager dans un projet, j'ai trois critères: je veux avoir du fun, je veux apprendre et je veux être bien payé. Si les trois conditions sont réunies, c'est parfait. Sinon, il faut qu'il y en ait au moins deux. Et jusqu'à maintenant, ça va bien. Je me suis arrangé pour ne pas avoir besoin de travailler et donc pour être libre et pour avoir du plaisir quand je travaille.»

Pourtant, 30 vies n'est pas exactement une partie de plaisir. Les tournages se déroulent à un train d'enfer, les textes sont abondants et pour être en mesure de suivre, il faut avoir beaucoup de métier et de rigueur. Lemay-Thivierge en est conscient: «Je sais que dans 30 vies, il n'y aura pas d'échappatoire. Au cinéma, tu peux toujours t'en tirer quand tu ne connais pas tous tes textes. En série lourde avec trois caméras, suffit de trouver le bon angle, mais avec la vitesse de production de 30 vies, ça ne sera pas possible. En même temps, ça m'excite d'embarquer dans ce gros manège et de faire ma place là-dedans.»

Comme sa mère

Après la course avec Fabienne au parc Maisonneuve, Guillaume est allé prendre un thé chez l'auteure pour discuter de son personnage. Ce qui l'intéressait, c'était que Vincent Picard sorte des sentiers battus et qu'il ait une couleur particulière.

«On s'est entendus sur le fait que ses méthodes iraient parfois contre les normes, qu'il serait un peu à contre-courant et à rebrousse-poil. Ironiquement, ma mère était exactement ce genre de prof. Un jour, elle a écrit une lettre au ministre de l'Éducation, Claude Ryan, pour dénoncer le directeur de son école. C'était une sorte de coup d'éclat de sa part. Le directeur a été congédié et ma mère en a profité pour prendre sa retraite. Elle était très fière qu'on me propose le rôle d'un enseignant et comme ma mère, c'était mon âme soeur, j'ai tout de suite voulu embarquer.»

Malheureusement, Françoise Lemay ne pourra pas voir son fils dispenser ses leçons d'histoire aux élèves du Vieux-Havre. Elle est morte le 25 mai dernier, le jour même du premier anniversaire de Manoé, le premier fils que Guillaume a eu avec Mariloup Wolfe. Un deuxième est né, le 5 décembre dernier, qui ne connaîtra jamais sa grand-mère Françoise.

Pour une rare fois depuis le début de l'entretien, Guillaume oublie son besoin compulsif d'action pour se laisser aller à l'émotion. Avec ses deux derniers et sa fille de 10 ans issue d'une autre union, il est maintenant le père de trois enfants. Et cette lourde responsabilité ne lui fait pas peur. Tout le contraire. «Plus je vieillis et plus je trouve ça beau, la famille. Plus j'ai envie d'être chez moi avec ma gang», dit-il tout doucement.

En attendant, les prochains mois, il sera plus souvent au troisième sous-sol de Radio-Canada qu'avec sa gang. Ceux qui, depuis un an, suivent les aventures de Gabrielle Fortin et de sa petite famille vont devoir changer d'angle et s'attacher à ce nouveau venu qui, dans les faits et bien que ça ne soit pas expliqué, enseignait dans une autre aile du Vieux-Havre. La différence, c'est que les caméras de la fiction viennent de se braquer sur lui. Et comme le dit si bien Guillaume Lemay-Thivierge, il n'y aura pas d'échappatoire.