Après cinq saisons dans le tourbillon de l'actualité, Christiane Charette, la plus enthousiaste des animatrices, accroche son micro. Le 3 juin, celle qui occupe la case prestigieuse du matin de la radio publique va se retirer dans ses terres et prendre du recul afin d'envisager la suite. Car suite il y aura, même si, pour l'instant, Christiane n'a aucun projet précis sinon de s'occuper de celui qu'elle a négligé depuis cinq ans: son corps.

Je l'ai déjà constaté et je le constate à nouveau: Christiane Charette est un paradoxe sur deux pattes. Comment décrire autrement une femme fascinée par les images, qui peut passer des journées entières devant son ordinateur à chercher des images, à les trafiquer, à les archiver? Une femme qui ne sort jamais de chez elle sans son appareil photo, qui photographie tout ce qu'elle voit sur son chemin, qui a pris en photo pendant une année complète toutes les personnalités qui défilaient sur son écran de télé pour en faire une exposition. Or, c'est cette même femme qui, au téléphone, alors que nous prenions rendez-vous, m'a annoncé qu'elle ne voulait pas être photographiée. Sous aucune condition. Je pensais qu'elle se raviserait en apprenant que La Presse n'avait aucune photo récente d'elle. Mais Christiane est restée sur ses positions, sans compromis possible. Ce n'était pas un caprice de sa part, mais plutôt la conscience aiguë du pouvoir de l'image, pouvoir auquel elle n'a pas envie de se soumettre à ce moment de sa vie. Devant sa demande formulée à la fois avec aplomb et vulnérabilité, nous nous sommes inclinés.

Mais revenons aux paradoxes de celle qui vit avec le même homme (le graphiste et designer Israel Charney) depuis 32 ans et dans la même maison sur le Plateau depuis 30 ans, qui est fidèle en amitié et fidèle à la même marque de sacs à main Prada, mais qui, sur le plan professionnel, change de micro, d'antenne et de format comme d'autres changent de trottoir. Pas parce que Christiane Charette finit par se lasser de tout ce qu'elle entreprend. Plutôt parce qu'elle entreprend les choses avec tant d'abandon, de concentration et d'avidité qu'elle est condamnée, tôt ou tard, à changer d'air pour ne pas mourir d'asphyxie. C'est ce qui est arrivé l'automne dernier lorsqu'elle s'est mise à réfléchir à son avenir et à se demander si le temps n'était pas venu de renoncer à sa case, qui est aussi une cage où elle est enfermée depuis cinq ans.

«J'y ai pensé pendant des mois et des mois, me confie-t-elle, assise sur la banquette du café d'un hôtel du Vieux-Montréal. À un moment donné, tu vois le film de ce qui s'en vient, tu vois le parcours tracé d'avance jusqu'à la retraite. Moi, je suis toujours à l'affût du moment où je sens en moi et autour de moi que c'est le temps de bouger pour qu'il y ait une suite, autre chose, ailleurs et autrement. C'est pour ça que, même si j'adore ce que je fais, même si j'adore mon équipe, il fallait que je parte.»

Malgré les critiques formulées à son égard dans certains journaux, malgré les turbulences provoquées par son nouveau patron, Patrick Beauduin, qui semble vouloir changer les choses à la radio, Christiane jure que personne ne lui a montré la porte. Tout le contraire. Son émission était renouvelée. Il ne lui restait plus qu'à signer son contrat. En lieu et place d'une signature de contrat, la direction a dû rédiger un communiqué annonçant son départ.

Surdose télévisuelle

Le 3 juin, cela fera presque 30 ans que la fille de Raymond Charette est dans le paysage médiatique québécois. À la fin des années 70, elle a quitté un poste permanent au service de l'animation du Musée des beaux-arts de Montréal parce qu'elle venait de voir le film de sa vie et voulait déjà en changer le scénario. «Après le Musée, j'ai passé trois ans à me heurter à des portes fermées, mais je voulais tellement faire ce métier-là que j'ai tenu bon, convaincue que je finirais par y arriver.» Elle a commencé à la radio de Radio-Canada en remplaçant à l'occasion la vadrouilleuse Francine Grimaldi, puis en devenant chroniqueuse culturelle à l'émission de Michel Désautels, tout en tenant la chronique de livres à l'émission Bon dimanche. De 1991 à 1994, elle a hérité de la case qu'elle occupe aujourd'hui et qu'elle a aidé à bâtir et à définir avant que Marie-France Bazzo ne reprenne le flambeau. De 1995 à 1998, elle a été «une fille le matin» à la télé de Radio-Canada, puis «une fille le mercredi soir», puis «une fille le dimanche après-midi», pour un total de sept années qui se sont conclues, pour elle, par une surdose télévisuelle.

«À la fin, je n'en pouvais plus de toujours travailler en fonction d'une caméra. Faut dire que quand je rentre dans une job, je le fais de manière maniaque. Je veux tout contrôler et tout contrôler à la télé, c'est épuisant, tandis qu'à la radio, j'avais juste à baisser l'éclairage pour être maître de mon environnement.»

En septembre 2006, le studio 18 est devenu son bunker et sa bulle, un antre sombre aux lumières tamisées et une plaque tournante et effervescente où les invités entraient et sortaient comme dans un moulin. Certains auditeurs ont eu de la difficulté à s'adapter à son feu roulant de sujets, à son mélange des genres, à son parti pris pour la nouveauté de l'heure et à la joyeuse cacophonie qu'elle entretenait en studio. Mais l'animatrice s'en fout un peu. Elle connaît parfaitement la direction qu'elle a prise et elle l'assume.

«En revenant à la radio, j'ai voulu embrasser non pas l'air du temps, mais l'air du moment, tout mélanger sans jamais tomber dans la spécialisation. J'avais une équipe jeune, performante, hyperactive et très gourmande, qui était intéressée par une foule de sujets qui m'intéressaient moi aussi. De là à dire que je ne faisais que du people et du Paris Match, c'est faux. Je comprends et j'accepte qu'on puisse ne pas aimer mon style. Mais je n'y peux rien. Je suis qui je suis.»

Dodo ou Denise?

Pendant cinq saisons, Christiane Charette s'est levée à 4h tous les matins de la semaine pour préparer son émission et lire ses dossiers. Elle ne sortait jamais le soir, ne voyait personne d'autre que son chum à qui elle laissait la cuisine, l'épicerie et le jardinage. Elle a vécu une vie de moine qui a fini par l'épuiser même si elle l'admet difficilement. Ce qu'elle admet, c'est qu'elle a perdu de vue son corps, qu'elle a cessé de s'entraîner, de s'occuper de son image et de la coquette qui dort en elle, et qu'elle n'a plus qu'un souhait: retrouver sa vie physique et remiser son cerveau pour un temps.

Quand Christiane Charette réfléchit à son avenir, elle ne pense pas à des concepts d'émission ni à des stratégies de carrière. Elle pense à Dodo et Denise. «Je trouve que ces deux femmes sont exemplaires dans leur façon de vieillir. D'un côté, il y a Dodo la coquette et la svelte qui continue de paraître tellement plus jeune que son âge. De l'autre, il y a Denise qui a la même vitalité, mais qui l'a mise au service de la scène et de la création. Je me demande souvent si je suis plus Dodo ou Denise. Je ne le sais pas. Je trouve les deux propositions intéressantes. Dans le fond, peut-être que j'aimerais être un peu des deux.»

En attendant de retrouver sa Denise et sa Dodo intérieures, Christiane Charette prendra tout l'été pour ne rien faire sinon se remettre en forme. Elle en profitera aussi pour humer l'air du temps et voir de quel côté le vent souffle. Quelque chose me dit que la prochaine fois qu'on se croisera sur l'autoroute des médias, elle sera tout à fait disposée à se faire prendre en photo.