Fabienne Larouche raconte qu'à ses 40 ans, elle était tellement déprimée qu'elle est partie se cacher à New York en se croyant finie. La voilà, 12 ans plus tard, plus radieuse et en forme que jamais, alors qu'elle se prépare à entreprendre, comme auteure et productrice, un nouveau chapitre de sa vie. Pour ne pas dire de ses 30 vies.

La semaine dernière, lors de l'ultime journée de tournage de Virginie après 15 ans, Fabienne Larouche était émue. Pour une rare fois, la fonceuse et verbomotrice compulsive, s'est montrée fragile, vulnérable, les yeux humides, les trémolos dans la voix. Pour les médias invités sur le plateau, c'était du jamais vu.

Mais celle que je retrouve au sous-sol de Radio-Canada cinq jours plus tard, à 72 heures du début du tournage de 30 vies, n'est déjà plus la même femme. Aucun regret dans le regard. Aucune nostalgie ou sentimentalisme pour ce qui a été et n'est déjà plus. Vêtue d'une tunique noire sur chemise blanche, son uniforme de l'automne, Fabienne pète le feu. Son sourire est radieux, sa bonne humeur, contagieuse, mais surtout, elle est détendue et dégage une sérénité nouvelle chez elle. Je lui en fais la remarque en lui demandant son secret. «Le yoga, répond-elle tout de go. Sans blague. Je sais que ç'a l'air fou, mais depuis que je fais du yoga, je respire. Je répète: je R-E-S-P-I-R-E. Avec ça, vient tout le reste. Je me sens bien dans ma peau. Je suis heureuse. La vie est belle. J'ai du fun. Disons que j'ai la cinquantaine pas mal plus joyeuse que la quarantaine.»

À peine nous sommes-nous assises dans la loge de Marina Orsini, la vedette de 30 vies, que Fabienne m'entraîne dans les dédales des couloirs du troisième sous-sol de Radio-Canada. Elle veut me montrer le nouveau décor de la série qui se passe dans une école, comme Virginie, mais qui raconte une tout autre histoire. Nous franchissons des portes, longeons des panneaux et puis subitement, nous débouchons dans une école: une vraie école avec des néons, des couloirs criblés de graffitis, une enfilade de casiers beiges, des salles de classe aux pupitres gris et aux murs fluo. Pendant une fraction de seconde, je crois que je me suis égarée dans une école clandestine aménagée par Radio-Canada pour ses employés. Mais non!

«C'est beau, hein!» s'exclame Fabienne, en admirant son nouvel univers dramatique. Je peux difficilement la contredire. Le décor n'est pas que beau, il est troublant de réalisme. Bye bye, le carton-pâte du téléroman à la petite semaine. Bonjour, l'authenticité de la télésérie au milieu d'un espace qui semble trois fois plus grand que les installations de Virginie, mais qui, en réalité, est plus petit.

30 vies met en scène Gabrielle (Marina Orsini), prof dans une école secondaire du quartier Centre-Sud à Montréal, mère de trois enfants et conjointe d'un restaurateur interprété par Jean-Nicolas Verreault. En un sens, cette Gabrielle est née il y a deux ans. Fabienne venait de recevoir une invitation des International Emmy Awards pour être membre du jury de la catégorie téléromans. Rien de plus normal pour une auteure qui, avec ses 1740 épisodes de Virginie, est un record Guinness à elle toute seule. Ajoutez à cela les 52 heures de Scoop, les 4 heures de Miséricorde, les 4 heures d'Innocence, les 26 heures d'Urgence, les 10 heures de Paparazzi, les 8 heures d'Un homme mort, les 42 heures de Fortier, les 20 heures de Trauma et les 12 heures de Music Hall, un total de 181 heures de télévision, et ce n'est pas un, mais deux records Guinness en écriture télévisuelle qu'elle devrait recevoir.

Toujours est-il qu'en visionnant les cinq finalistes de la catégorie téléroman l'an passé, Fabienne a eu une révélation. «J'ai vu ce qui se faisait dans le monde en télé et j'ai compris que le modèle du téléroman tel qu'on le concevait était fini et dépassé. Il fallait arriver au XXIe siècle. Au même moment, j'ai reçu un appel de Louis Cornellier, le plus grand fan de Virginie. Il nous suit depuis les débuts, ne rate pratiquement pas un épisode et voilà qu'il me dit que la dernière chose qu'il voudrait, c'est de se lasser de Virginie, mais qu'il sent que ça s'en vient. Ça m'a fait réfléchir.»

Compulsive

Au printemps dernier, en moins de 24 heures, Fabienne avait pris sa décision: celle de tirer un trait définitif sur Virginie. Sans arrière-pensée. Ni regret. Sans non plus prendre le temps de faire son deuil puisqu'elle s'est immédiatement lancée dans un nouveau projet. «Moi, quand c'est fini, c'est fini. Je suis une passionnée, une compulsive, une full scorpionne. Quand je vais décider d'arrêter d'écrire, ça va être fini. Point. En attendant, écrire, c'est mon métier et ma vie.»

Cette année aux International Emmy Awards, Fabienne a demandé d'être jurée pour les séries dramatiques. C'est là qu'elle a découvert The Street, une série britannique de la BBC qui à la particularité de raconter la vie d'une rue à Manchester. Chaque épisode raconte l'histoire d'un des habitants de la rue. 30 vies procède de la même manière. Chaque semaine, Gabrielle va plonger dans la vie d'un de ses 30 élèves. L'histoire de X durera une ou deux semaines, après quoi, on passera à un autre élève, une autre histoire.

La différence avec Virginie? D'abord l'exploration de la relation maître-élève, relation que Fabienne, qui a pourtant enseigné pendant cinq ans à la polyvalente de Deux-Montagnes et à Sainte-Thérèse, avait peu traitée. Mais surtout, sa vedette, Marina Orsini, ne sera pas là pour 15 ans, mais seulement pour les 60 premiers épisodes. Dès septembre prochain, ce sera une autre prof (et une autre actrice) dans une autre classe qui prendra le relais pendant 60 épisodes et ainsi de suite. L'auteur a déjà pris contact avec deux acteurs très connus pour l'an prochain. «J'ai besoin d'acteurs de haut niveau qui vont travailler avec nous pendant quatre mois, puis qui iront faire ce qu'ils ont à faire ailleurs. Pour les acteurs, c'est moins contraignant et pour moi, ça m'évite l'enfer des problèmes de disponibilité. Les casse-tête des horaires que j'ai vécus pendant 16 ans sur Virginie m'épuisent juste à y penser.»

Fabienne songe même à étendre ce principe d'ouverture et de polyvalence à l'écriture. «Il se pourrait qu'éventuellement, pas tout de suite évidemment, mais un jour, j'offre à des auteurs l'écriture d'une demi-saison. Oui, pourquoi pas?» me lance celle qui s'est toujours fait un honneur d'avoir écrit chacun des 1740 épisodes de Virginie.

Décidément, cette femme a changé. Tellement que lorsque je lui parle de la parodie un brin dévastatrice que Marc Labrèche a faite d'elle à 3600 secondes d'extase récemment, au lieu de se fâcher et de réclamer vengeance, elle rit de bon coeur. «J'ai senti qu'il avait de l'affection pour moi dans son sketch. En plus, il a fait un effort pour être presque «belle», alors non, je ne lui en veux pas.» Autre changement, celle qui a juré que jamais en 100 ans elle ne mettrait les pieds sur le plateau de Tout le monde en parle est en train de reconsidérer sa promesse.

«Guy A et moi, on se parle. On est en train de s'apprivoiser et bien franchement, il y a des moments où j'ai envie d'aller sur son plateau. On verra.»

En attendant, Noël sera bref dans la maison de Fabienne et de son bien-aimé Michel Trudeau. L'ultime épisode de Virginie sera diffusé le 16 décembre et le premier épisode de 30 vies, le 10 janvier. Entre les deux, Trauma prendra l'antenne le 4 janvier. J'ignore si Fabienne a une seule vie ou neuf vies comme les chats. Chose certaine, quoi qu'il arrive, Noël, tempête ou verglas, elle va une fois de plus «livrer la marchandise».