Marginale, la webtélé? Alors que, au petit écran, Tout le monde en parle et Le banquier franchissent chaque semaine la barre du million de téléspectateurs, une webémission comme Contrat d'gars a généré jusqu'à maintenant plus de 500 000 branchements et Tou.tv en a enregistré plus de 18 millions depuis sa création, en janvier. Deux poids, deux mesures, et pourtant, contrairement à la croyance populaire, l'auditoire en ligne serait bel et bien au rendez-vous.

Si plusieurs estiment encore que la webtélé est marginale, ils ont tout faux, estime Jean Tourangeau, producteur télé et chargé d'enseignement à l'UQAM, qui animera aujourd'hui une table ronde sur la production et la création web. À coups de clics, les internautes consomment de la webtélé, assure-t-il. Un exemple: En audition avec Simon figure au troisième rang du palmarès - qui inclut les productions web et télévisuelles - des émissions les plus visionnées sur Tou.tv au mois d'octobre. La galère et Mauvais karma se classent en première et en deuxième position.

Comparaison difficile

Point important à souligner, ajoute M. Tourangeau, l'équivalent des «cotes d'écoute» sur le web ne peut s'analyser comme au petit écran. Car l'idée de comparer BBM - méthode utilisée pour calculer les cotes d'écoute à la télévision - et branchements peut donner l'impression que les émissions produites pour l'internet n'attirent qu'une poignée d'adeptes et que le jour où l'ordinateur concurrencera le petit écran est bien loin.

«La forme est difficile à analyser en matière d'auditoire, souligne M. Tourangeau, qui agit également à titre de consultant en webtélé. Les publicitaires disent qu'ils ne peuvent pas comparer leurs schèmes de calcul face à BBM. Je peux bien aller cliquer 25 fois (pour visionner une même capsule), on ne sait pas si c'est 25 personnes différentes ou un seul internaute», illustre-t-il.

Parallèlement, le spécialiste rappelle qu'à la télévision, toutes les productions n'obtiennent pas le succès des Parent ou encore d'Occupation double. Sur les ondes de certaines chaînes, particulièrement les spécialisées, des émissions attirent à peine 25 000 téléspectateurs.

Dans ces conditions, comment mesurer le succès sur l'internet? «Je me demande davantage si l'émission atteint sa cible, s'il y a une augmentation du nombre de téléchargements», répond Jean Tourangeau en citant en exemple la popularité qu'ont connue Les chroniques d'une mère indigne ou encore Comment survivre aux week-ends?.

«On ne regarde pas le web comme on regarde la télévision, ajoute-t-il. Il y a des gens qui ne regardent pas toutes les semaines leur émission sur le web. Ils vont la regarder en rafale, comme un DVD ou comme la vidéo sur demande. Par exemple, moi, je ne suis pas obligé d'aller sur Tou.tv tous les matins en me levant.»

Absence d'émissions rassembleuses

Par ailleurs, si le public semble davantage fragmenté sur l'internet qu'à la télévision, c'est que, contrairement au petit écran, l'écoute devant l'ordinateur n'est pas une occasion de rassemblement, de rendez-vous familial. En fait, c'est que les productions web s'adressent à un public très ciblé, généralement composé de jeunes. «Les gens qui vont voir Temps mort sont nombreux en matière de public cible. Ces gens-là ne sont pas 7 millions de personnes. Ils sont une couche de la population...»

Sur l'internet, des émissions «intergénérationnelles», donc qui génèrent beaucoup de cotes d'écoute, comme Les Parent ou encore Le banquier, n'existent pas. «Le web, c'est un canal spécialisé, illustre Jean Tourangeau. C'est un canal spécialisé générationnel qui va chercher une tendance. De ce point de vue-là, les séries sur le web vont avoir moins de pérennité.»

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La table ronde Produire et créer sur le web: les stratégies gagnantes, 10 h, pavillon Sherbrooke de l'UQAM.