Addicts, une nouvelle émission web réalisée en France, a disposé d'un budget d'opération de 1,4 million de dollars. Par comparaison, ici, une série comme LeCouple.tv a coûté... 90 000 $. Le fossé est énorme. Résultat: des scénaristes web d'ici - qui commencent peu à peu à faire leur marque dans l'Hexagone - risquent d'être tentés de traverser l'océan, avec leurs idées en poche, et de s'associer avec des producteurs français afin de bénéficier de budgets alléchants.

Les textes francs et crus d'une mère au bout du rouleau dans Chroniques d'une mère indigne ou encore le quotidien peu commun d'un couple qui ne s'entend pas sur la nécessité ou non d'avoir un enfant dans LeCouple.tv plaisent visiblement aux Français puisque les auteures de ces deux émissions, Miryam Bouchard et Lily Thibault, ont été invitées à Scénaristes en série, une manifestation qui se tenait il y a quelques semaines à Aix-les-Bains, en France. C'est en participant à une table ronde avec leurs compatriotes français qu'elles ont alors découvert à quel point elles ne vivaient pas sur la même planète financière qu'eux.

«Quand on a su que Addicts disposait d'un budget de 1,4 million, Miryam et moi étions bouche bée, confiait hier Lily Thibault, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse. Mais c'est la France. Le marché est 100 fois plus gros qu'ici. C'est la même chose en télé.»

Au petit écran, selon les chiffres les plus récents, une série de fiction au Québec coûtait, en 2007-2008, en moyenne 429 000$ l'heure contre 1 million en France.

De ce côté-ci de l'océan, Lily Thibault a produit leCouple.tv, qui met notamment en vedette Étienne Pilon, Geneviève Rioux et Gabriel Sabourin, avec un budget total d'environ 90 000$ pour neuf épisodes. Afin de concrétiser son projet, celle qui agit à la fois à titre de productrice, scénariste et comédienne, a été contrainte d'organiser des ventes de débarras, des soirées de financement...

Et bien qu'elle planche actuellement sur la deuxième saison de sa série, dont le tournage débutera la semaine prochaine, l'auteure ne cache pas son intérêt... pour l'Hexagone. Elle travaille en ce moment à l'élaboration d'un projet qu'elle pourrait réaliser avec la France. «Je suis en train d'écrire quelque chose que je veux proposer là-bas justement en raison des budgets qu'ils ont, de la place qu'on peut occuper. Et eux voient à quel point nous sommes créatifs ici, ajoute-t-elle. Ils s'intéressent à ce que les Québécois font.»

«En Europe, il y a beaucoup d'annonceurs qui financent des séries, explique le directeur du site Tou.tv, Jérôme Hellio. Pour eux, un million d'euros dans une websérie, comparativement à un budget publicitaire c'est rien.»

Dans ces conditions, doit-on craindre l'exode des idées et des artisans québécois vers le continent européen? «D'une part, c'est bon pour notre industrie que nos créateurs de webséries s'exportent, répond Jérôme Hellio. S'ils vont faire plusieurs webséries ailleurs, ça va être à nous à trouver les moyens de les garder chez nous. Cela dit, l'un n'empêche pas l'autre.»

Failles dans le financement

Par ailleurs, le système de financement de la webtélé n'est pas encore à point, concède Jérôme Hellio. C'est que le Fonds des médias du Canada et le Fonds indépendant de production, qui octroient des enveloppes aux productions destinées à l'internet, donnent davantage leur aide aux projets dits interactifs. Or, toutes les séries web ne répondent pas à ce critère. «C'est certain qu'il y a des recherches de modèles de financement, souligne Jérôme Hellio. Il y a comme un vide qui s'est créé qu'il va falloir combler.»

À surveiller

> Sur vtele.ca : 11 règles, série mettant en vedette Louis Champagne et Marie-Chantal Perron qui raconte avec humour les aventures d'un couple qui décide de s'adonner à l'échangisme.

> Sur tout.tv : Dakodak.tv, Zieuter.tv et Neuroblaste, trois nouvelles productions qui seront mises en ligne plus tard cet automne.