En l'espace de quelques épisodes, Mad Men, qui raconte la vie d'un groupe de publicitaires new-yorkais au début des années 1960, est devenu une véritable série-culte. Alors que les Québécois viennent de découvrir la première saison sur Télé-Québec, les Américains ont pu voir la finale de la quatrième saison dimanche dernier, sur les ondes du réseau AMC. Mad Men, c'est l'exemple parfait de la télévision complexe qui s'adresse à notre intelligence. La Presse s'est entretenue avec son créateur, Matthew Weiner.

Q : Que nous apprend votre série sur les États-Unis d'aujourd'hui?

R : Je crois que nous vivons actuellement une période de transition technologique et sociétale comme à l'époque des personnages de Mad Men. Dans les années 60, les gens se sentaient isolés et les conventions sociales exerçaient une forte pression. Vous deviez contrôler tous les aspects de votre vie. C'est la même chose aujourd'hui. La technologie et la politique font en sorte que les gens ont le sentiment d'être dépossédés, ils ne se sentent pas représentés par les institutions. Attention, je ne vous fais pas une déclaration à la Tea Party, mais je sens une colère et un sentiment d'isolement chez les gens, qui est similaire à celui que la société vivait dans les années 60. C'est presque cliché de dire que l'aliénation est LE thème de ce début de XXIe siècle. Or, c'est exactement ce que ressentent les personnages de Mad Men. Ils ne savent pas ce qui les attend, ils se sentent perdus. Sommes-nous plus heureux qu'eux aujourd'hui, avec nos iPad et nos divertissements faciles? Je sens un sentiment de déconnexion autour de moi, et c'est ce que je voulais dire dans Mad Men.

Q : Mad Men est devenu un véritable phénomène, et pas seulement aux États-Unis. En Europe, au Canada, au Québec, les téléspectateurs se passionnent pour la vie de Don Draper et de ses collègues. Comment expliquez-vous cet engouement?

R : Si Mad Men interpelle les gens, c'est parce que la série parle de petites expériences humaines, auxquelles on s'identifie, peu importe notre culture d'origine. Ce genre de série, qui offre à la fois un contenu esthétique de qualité et une large palette d'émotions, répond, selon moi, à un besoin qui n'avait pas été assouvi à la télévision jusqu'ici.

Q : En quelques années, Don Draper est devenu LE symbole de la masculinité en Occident. Êtes-vous surpris?

R : Le mérite revient à John Hamm, un acteur qui incarne si bien la force et la vulnérabilité. Il réussit à transmettre beaucoup d'émotion même s'il n'a pas beaucoup de texte. Ce type de premier rôle masculin n'était absolument pas à la mode avant Mad Men. En outre, même si Don Draper a des comportements sexistes et dépassés, les femmes sont charmées par le fait qu'il est compliqué, et surtout, très beau. Il me rappelle les acteurs de cinéma comme Gregory Peck ou James Garner. C'était le moins connu des acteurs qui ont auditionné pour le rôle mais, à mes yeux, c'était clair qu'il était le meilleur pour incarner Don.

Q : La saison qui vient de se terminer met en vedette une actrice d'origine montréalaise, Jessica Paré, dans le rôle de Megan, la nouvelle secrétaire de Don Draper. Aviez-vous décidé qu'elle serait canadienne-française avant de choisir Mme Paré, ou l'idée vous est-elle venue après?

R : Quand je développe un personnage, une grande partie de ce qu'il sera dans la série repose sur la personnalité de l'acteur. J'ai embauché Jessica Paré très tôt dans la saison, avant même de savoir quel personnage elle incarnerait. Plus je l'observais et plus je trouvais qu'elle était magnifique - elle ressemble aux actrices françaises de la fin des années 50 - et pleine de talent. J'ai donc décidé que son personnage serait originaire de Montréal. J'ai visité votre ville à quelques reprises et j'ai dormi à la Maison Pierre du Calvet, dans le Vieux-Montréal. C'est pour cette raison que son personnage se nomme Megan Calvet.

Q : On dit que la télévision est le nouveau cinéma. Comment expliquer le succès et la qualité des séries télévisées?

R : L'auditoire est tellement vaste malgré la fragmentation des publics qu'on peut en rejoindre une petite partie et s'adresser quand même à beaucoup de monde. Cela donne une plus grande liberté aux créateurs. Sans compter qu'une série comme Mad Men, avec ses 13 épisodes, coûte 30 millions de dollars US, contrairement à un film qui en coûte 100 millions. De plus, on regarde la télévision à la maison ou sur un ordinateur, avec des écouteurs. C'est une expérience intime. Le cinéma, lui, est plus spectaculaire et rappelle le Colisée d'une autre époque. Enfin, il y a beaucoup d'aspects cinématographiques dans une série comme Mad Men. L'image dit beaucoup. Je crois que c'est ce qui plaît aux gens. Mais je ne suis pas assez stupide pour vous dire que j'ai trouvé la formule magique. Je me contente d'émuler le genre de divertissement que j'aime.