Dans la série Tout sur moi, ce ne sont pas des chansons tirées des palmarès des radios commerciales que les téléspectateurs entendent, mais des titres de Ghislain Poirier, Call me Poupée et Dee.

«Il y a des gens qui nous écrivent pour nous demander qui sont ces groupes», indique le réalisateur de la série, Stéphane Lapointe.

Pourquoi choisir des chansons qui ne sont pas connues du grand public? «Je suis un passionné de musique, et le producteur me laisse aller dans mon terrain de jeu, répond-il. Et ça ajoute une touche artistique, cool, tendance... ce qu'est Tout sur moi

«Phil Electric me fournit des chansons de groupes locaux et indépendants, poursuit le réalisateur. L'argent qui irait à la musique originale va à l'acquisition de chansons... Au montage, on évite les allers retours avec le compositeur. Si la chanson ne marche pas, personne ne le sait et je la change.»

Phil Electric, de son vrai nom Philippe-Aubert Messier, est copropriétaire des studios Apollo. Il est ce qu'on appelle un «superviseur musical». Pour le film Horloge biologique, par exemple, il a composé la musique originale en plus de participer à la sélection des chansons, notamment de Talk Talk et Foreigner, mais aussi d'artistes locaux comme Poxy, Patrick Watson et Echo Kitty.

En 2010, nous sommes loin des génériques musicaux «qui font jeune» de l'époque de Watatatow ou Chambres en ville. «On débloque de plus en plus de budgets pour ça. Ça donne plus d'atmosphère aux scènes qu'on veut tourner», indique Guillaume Lafrance, directeur de création à la maison d'édition Éditorial Avenue.

«Ils accordent plus d'importance, mais les budgets n'augmentent pas, dit plutôt à la blague Phil Electric. Demander à un compositeur d'orchestre symphonique de faire une scène de bar dans un film, ce n'est pas crédible. On aime mieux demander à nos amis dans nos groupes. Le but, c'est de se rapprocher de la réalité.»

Dans Trauma, Ariane Moffatt chante des reprises en anglais, ce qui a suscité des critiques. «En synchronisation, il n'y pas de quotas de contenu francophone dans les émissions de télé», explique Phil Electric.

Jean-François Rivard avait aussi inclus plusieurs chansons anglophones dans Les Invincibles. «La musique, c'est de l'expression. On ne peut pas demander à quelqu'un qui fait de l'aquarelle de peindre à l'huile, dit le réalisateur Si j'avais écrit sur quatre gars qui apprennent le flamenco avec des chansons en espagnol, personne n'aurait chialé.»

C'est avant tout «par intérêt personnel» que Rivard a mis beaucoup de musique rock indépendante dans Les Invincibles, que ce soit Malajube ou Think about Life. «Il y a tellement de bons groupes à Montréal», dit-il.

L'influence d'Alexandra Patsavas

Aux États-Unis, certains groupes inconnus ont pris leur envol après avoir été entendus dans des séries télé. Jean-François Rivard cite l'exemple de la pièce Breathe Me de Sia, qui accompagnait la mythique scène finale de Six Feet Under.

Des artistes québécois ont eu droit à quelques secondes dans des séries américaines: Lhasa de Sela dans The Sopranos, ou encore Patrick Watson et Dee dans Grey's Anatomy.

Grey's Anatomy et la série pour adolescents The OC ont été de véritables locomotives pour certains groupes comme Death Cab for Cutie ou Snow Patrol. Ces deux séries ont lancé la vague des bandes sonores indie-rock. Le grand manitou derrière tout cela? Alexandra Patsavas, qui a aussi assuré la supervision musicale des séries Gossip Girl, Chuck, Mad Men et des films Twilight.

«Elle a créé un nouveau paradigme, dit Amy Philips, éditrice de la section nouvelles de Pitchfork, bible web du rock indépendant. Comme elle, beaucoup de nouveaux superviseurs musicaux sont d'anciens promoteurs ou d'anciens DJ.»

Alexandra Patsavas – l'une des personnalités américaines les plus créatives de 2009, selon la revue Fast Company - a fondé l'entreprise Chop Shop Music Supervision. Selon elle, la télé n'est pas la «nouvelle radio». C'est plutôt l'internet qui aide les groupes indépendants. «Les gens entendent une chanson durant une émission et ils peuvent immédiatement la googler et l'acheter sur iTunes», a expliqué récemment en entrevue la femme de 41 ans, qui se dit issue de la «génération MTV».