La radio Pandora est un véritable phénomène sur le Net: 45 millions d'Américains fréquentent le site, et pas moins de 85 000 nouveaux usagers s'y inscrivent chaque jour, notamment par iPhone. L'entreprise d'Oakland, en banlieue de San Francisco, espère étendre ses services à l'étranger. Au Canada, pour l'instant, les lois sur la diffusion l'en empêchent, explique notre correspondant.

Le nez collé sur leur écran, des écouteurs aux oreilles, une centaine d'employés travaillent à enrichir la banque de données de la radio web la plus populaire au monde: une radio personnalisée, où chaque usager conçoit ses propres programmes en fonction de ses goûts. Il suffit d'aller sur le site et de taper le nom d'un artiste ou d'un groupe, ou encore le titre d'une chanson. Le système crée alors une programmation personnalisée.

L'endroit est silencieux; les bureaux de Pandora sont bercés par les murmures des conversations et le cliquetis des claviers.

En jean, Tim Westergren, le président et fondateur de Pandora, se déplace entre les postes de travail. Le mois dernier, sa radio web a encodé sa 700 000e chanson, un résultat dont il est fier.

«Ces jours-ci, nous sommes en train d'ajouter de la musique traditionnelle indienne, dit-il, devant une baie vitrée qui donne sur le centre-ville de San Francisco. Nous voyons ce que les gens cherchent dans le site et ce qu'ils ne trouvent pas. Nous essayons de nous adapter.»

Ouvert et courtois, Westergren a la démarche tranquille du travailleur acharné dont l'idée vient d'enflammer le marché. Quelque 45 millions d'auditeurs sont abonnés au système qu'il a créé. Chaque jour, 85 000 nouveaux utilisateurs s'inscrivent à Pandora.

Dans les réseaux sociaux comme Twitter, les éloges sont nombreux et constants. Récemment, un usager a écrit: «La radio Pandora semble avoir été donnée aux humains par Dieu.»

Un autre a ajouté: «Je crois que Pandora est l'une des inventions les plus marquantes de notre époque.»

Quand il se déplace aux États-Unis pour rencontrer les auditeurs, Westergren perçoit cet enthousiasme. Il est désormais accueilli en rock star: des milliers de gens viennent pour le voir, lui faire des suggestions et se faire prendre en photo avec lui.

Il attribue cette popularité à la nature de son entreprise. «Avec la musique, c'est comme ça. Il n'y a pas de demi-mesure. Les gens sont touchés. Ils ont un lien émotif.»

L'ADN d'une chanson

Pandora est une radio web personnalisée. Par exemple, tapez Patrick Watson et le système vous enverra un flux continu de musique de Watson, Cat Power, Iron&Wine, The Postal Service, Jose Gonzalez, etc.

Les morceaux sont choisis par un algorithme mis au point par Westergren. Et le hasard n'y est pour rien: chacun des 700 000 morceaux en banque a d'abord été analysé par un employé de Pandora, qui a codé sur une fiche le rythme, les instruments, les voix, le tempo, les arrangements et nombre d'autres indicateurs.

Bref, Pandora définit d'abord l'ADN d'une chanson, de manière à pouvoir établir des séquences cohérentes aux oreilles des auditeurs.

Et les stations sont modifiables à volonté. L'usager peut approuver ou refuser le choix d'une chanson. Le système en prend note et apprend à raffiner sa structure.

«À partir de ce qu'il connaît, l'auditeur est initié à une série de chanteurs ou groupes qu'il ne connaissait peut-être pas mais qui correspondent à ses goûts, explique Westergren dans un français impeccable, résultat de quelques années passées en France. Ce n'est pas vous qui trouvez la musique, c'est la musique qui vous trouve.»

L'aspect le plus révolutionnaire de Pandora - et la raison de son succès foudroyant - est son prix: la radio est gratuite. La compagnie fait de l'argent en diffusant de courtes publicités toutes les six chansons environ. La majorité de l'argent perçu est redistribué en redevances aux artistes dont les morceaux sont diffusés. L'entreprise offre aussi un abonnement payant: pour 36 $ par année, vous n'entendez aucune publicité.

Avec le iPhone

Tim Westergren, lui-même musicien, a commencé à plancher sur la «cartographie musicale» des chansons au début des années 2000. Il a lancé la radio en 2005.

«Le premier jour, nous avons eu 250 000 inscriptions, dit-il. C'était phénoménal. Nos serveurs ont presque planté. Nous étions à capacité maximale.»

Le service a poursuivi sa croissance à un bon rythme. Mais c'est l'avènement du iPhone qui a provoqué l'avalanche d'auditeurs.

«Quand nous avons lancé l'application pour le iPhone, en juillet 2007, les gens ont vraiment commencé à embarquer.»

Selon lui, Pandora n'est pas en concurrence avec le iTunes Store d'Apple, qui vend des chansons à la pièce. «Nous avons une très bonne relation avec Apple. Pour eux, nous participons à offrir du contenu intéressant pour le iPhone et le iPod Touch, alors c'est bon pour leurs ventes.»

Ces jours-ci, de plus en plus de fabricants lancent des produits capables de diffuser Pandora. Pioneer proposera bientôt un autoradio Pandora. Nombre de lecteurs DVD Blu-Ray diffusent aussi la radio web.

«Les Américains écoutent en moyenne 20 heures de musique par semaine, dont 17 heures à la radio, explique Westergren. Je crois que nous ne changerons pas ces habitudes.»

L'expansion logique de son entreprise se trouve à l'étranger. Pandora diffusera éventuellement en Europe et en Asie. Au Canada, cela pourrait prendre du temps: la Commission du droit d'auteur du Canada ne permet pas ce genre de radio.

«Pour diffuser au Canada, il nous faudrait contacter chaque artiste pour avoir son consentement écrit. Nous avons 85 000 artistes en banque. Il nous est impossible de faire cela. Certains pays, comme la France ou l'Allemagne, ont un système de licence. C'est là que nous allons nous développer en premier.»

Quand on lui demande s'il compte vendre son entreprise à une multinationale de la musique ou autre, Tim Westergren est catégorique.

«Nous ne voulons pas vendre, nous sommes indépendants, dit-il, un sourire en coin. C'est seulement la première manche. On verra où tout cela va nous mener.»