Guy A. Lepage est-il devenu mou? C'est la question qu'a posée il y a deux semaines Jean-François Lisée dans son blogue de L'Actualité. Selon M. Lisée, l'animateur de Tout le monde en parle n'a pas été assez agressif dans ses questions à Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, à propos de l'écart salarial entre les médecins québécois et ontariens.

«J'ai noté comme plusieurs une baisse d'énergie chez l'animateur depuis un an», écrit M. Lisée, directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal, qui se plaint d'une «pénurie de sous-questions» à l'émission dominicale.

Les critiques de ce genre ont beau être récurrentes, elles ont été récemment relativisées par une étude de l'Université Laval, publiée en juin dans la revue Canadian Political Science Review.

Les questions posées aux personnalités politiques est un problème soulevé depuis le lancement de l'émission Tout le monde en parle, en France, en 1998. Deux sociologues de l'Université Laval, dont Frédérick Bastien, en ont fait un thème de recherche qui offre un constat surprenant: en général, les animateurs d'émissions hybrides - comme Tout le monde en parle - ne posent pas des questions plus faciles que celles qu'animent des journalistes d'affaires publiques.

Dans les deux cas, «on a la même fréquence de questions qui remettent en question une affirmation du politicien et de questions qui posent différemment une question précédente à laquelle le politicien n'a pas répondu, dit M. Bastien. J'écoute Tout le monde en parle et je n'ai pas remarqué un changement dans les questions. Mais je n'ai pas fait particulièrement attention, alors il se peut que ça m'ait échappé.»

Cinq mille questions analysées

Le sociologue de Québec a analysé 5000 questions tirées de 90 entrevues avec des politiciens d'une dizaine d'émissions québécoises allant des affaires publiques (Le Point, Les coulisses du pouvoir, Larocque/Auger) au divertissement (Bons baisers de France, Le grand blond avec un show sournois, Le point J) en passant par les hybrides - appelées infotainment en anglais - comme Tout le monde en parle ou Appelez-moi Lise, Christiane Charette et Les francs-tireurs.

Les trois groupes d'émissions ont le même taux de questions de suivi (entre 40 % et 50 %), alors que les taux de questions de remise en question sont semblables pour les émissions hybrides et d'affaires publiques (12 % et 15 %), mais plus bas pour les émissions de divertissement (4 %). Tout le monde en parle est dans la moyenne (40 % de questions de suivi et 10 % de questions de remise en question) et Les francs-tireurs remportent la palme (63 % et 19 % pour ces deux catégories). Les données ont été recueillies en 2005 et 2006.

«La question du mélange des genres ne date pas d'hier, poursuit M. Bastien. Sur le site des archives de Radio-Canada, on peut voir une entrevue de Lise Payette avec Jean Chrétien de la première moitié des années 70, pour son émission Appelez-moi Lise. Mais il est certain que ça se généralise.»

Animateurs expérimentés

De son côté, la sociolinguiste Guylaine Martel, aussi de l'Université Laval, a analysé les réponses des politiciens dans ces trois types d'émissions et a trouvé qu'elles étaient relativement semblables. «Ça veut dire qu'on les met autant sur la sellette, dit Mme Martel. Il faut dire qu'il y a souvent des politiciens à ces émissions, alors les animateurs ont de l'expérience. Cela dit, je suis convaincue qu'un journaliste dont c'est le métier de suivre la politique aura plus de facilité à faire de bonnes questions de suivi.»

Flou

Un certain flou entoure par contre la déontologie des émissions hybrides. «Dans les politiques institutionnelles de Radio-Canada, il est écrit très clairement que les normes journalistiques s'appliquent à toutes les émissions dans laquelle on présente de l'information, dit M. Bastien. Quand on regarde les décisions de l'ombudsman sur des plaintes concernant Tout le monde en parle et le Fric show, les entrevues de politiciens sont couvertes par les normes journalistiques. Mais les gens qui font ces émissions hybrides ne semblent pas toujours en avoir conscience.»

Les partisans des émissions hybrides avancent qu'elles permettent d'intéresser aux questions politiques des téléspectateurs que les émissions uniquement politiques rebutent. Des études américaines semblent confirmer que c'est le cas, selon M. Bastien. Une étude a notamment calculé que les personnes qui écoutaient les émissions de comédie de fin de soirée (David Letterman, Jay Leno, etc.) étaient plus intéressées par la campagne présidentielle de 2004.

Qu'en pense Guy A. Lepage? Par l'entremise de son agent, Jacques Primeau, il a indiqué qu'il respectait l'opinion de Jean-François Lisée mais ne la partageait pas. M. Lisée n'a pas répondu à la demande d'entrevue de La Presse.