Anthony Kavanagh sait tout faire, ou presque: des onomatopées, de l'humour, quelques imitations. Il peut aussi animer des émissions de télévision, danser, chanter et jouer la comédie. Depuis plusieurs années déjà, il se dit: pourquoi ne pas le faire? Une ambition qui ne va pas de soi, surtout dans un pays comme la France où on aime encore plus qu'ailleurs cataloguer les artistes.

D'où la surprise générale - en tout cas dans les médias -, de voir apparaître mardi soir à l'heure de grande écoute sur France 3, un Kavanagh nouveau genre, dans «une tragédie romantique» (selon L'Express) intitulée Les amants de l'ombre. Une belle histoire - «un mélo assumé» (Le Parisien) - située en Normandie dans les semaines suivant le débarquement des Alliés en juin 1944. Anthony Kavanagh y incarne Gary Larochelle, un soldat américain noir, originaire de Louisiane, ce qui expliquerait pourquoi, bizarrement, il parle français (avec un accent américain).

Un téléfilm dramatique de 90 minutes réalisé avec de gros moyens: environ 4,8 millions CAN et 23 jours de tournage. Le résultat - sans être hollywoodien - est une reconstitution très convaincante de cette époque.

Et d'un sujet rarement évoqué dans des oeuvres de fiction: le racisme sévissant dans l'armée américaine. Et le fait que, pour des cas (peu nombreux) de viols commis par des soldats américains en France, les coupables noirs étaient généralement condamnés et exécutés, tandis que les GI blancs s'en tiraient avec des peines bien plus légères.

Dans Les amants de l'ombre, «un téléfilm salutaire, mais un peu manichéen», pour le Monde, le plus proche copain de Kavanagh, qui a une liaison avec une Française aux moeurs légères, est ainsi accusé de viol et pendu en public.

Gary Larochelle a, lui aussi, une romance avec une infirmière française, mais c'est elle qu'on traite de «putain» et que l'on tond sur la place de la mairie. Tandis que son amant GI est forcé de suivre les troupes américaines et de disparaître. À une heure de grande écoute à la télé française, on ne fait pas dans les demi-teintes.

Cela dit, Anthony Kavanagh récolte plus que sa part de compliments. «lui que l'on connaissait plutôt enclin à la vanne et aux onomatopées endosse ici le premier rôle avec une étonnante sobriété», écrit le Nouvel Observateur. L'Express le trouve particulièrement «convaincant». C'est «un drame porté par des comédiens inspirés», écrit Le Parisien.

En un mot, notre Anthony passe le concours avec la mention du jury. Des critiques élogieuses qui vont de pair avec un très beau succès public. Le téléfilm obtient 15,6 % de parts du marché, ce qui est d'autant plus remarquable qu'en face, il y avait un important match de soccer entre Bordeaux et Madrid, qui mobilisait la moitié de la France.

France 3, généralement au troisième ou quatrième rang aux heures de grande écoute, est cette fois arrivé deuxième. Et on a dénombré 4 294 000 spectateurs pour Les amants de l'ombre.

«C'est un formidable succès, a dit à La Presse Michel Nouader, l'agent de Kavanagh. Anthony avait déjà joué dans un téléfilm, La fille au fond du verre de saké, mais c'était sur Canal +, et ça avait moins de retentissement. Dès le lendemain de la diffusion, les propositions ont commencé à arriver: en France, on croit qu'un grand humoriste ne peut pas faire un rôle dramatique. Jusqu'à ce que l'on constate qu'il l'a fait, comme Coluche dans Tchao Pantin ou Djamel dans Indigènes. C'est peut-être ce qui se produit aujourd'hui pour Anthony.»