Il y a un an et trois jours exactement, Barak Obama délogeait George W. Bush à la présidence des États-Unis. La télévision américaine n'a pas perdu de temps à s'ajuster. Portrait d'une industrie qui aime parler «du pouvoir, et de la manière dont on en use et dont on en abuse».

C'était le 25 septembre, sur le réseau NBC. La série Law & Order a amorcé sa 20e saison (égalisant ainsi le record de longévité de Gunsmoke avec Memo of the Dark Side. Un épisode où il est question des fameux mémos découverts récemment, dans lesquels ce qui se passait à Guantanamo Bay a été révélé. Un épisode qui demande si un membre du gouvernement américain - on parle de l'admistration Bush - peut être tenu personnellement responsable des actes de torture commis sur les prisonniers soupçonnés de terrorisme. Un épisode qui illustre aussi les obstacles posés par le nouveau gouvernement - on parle de l'administration Obama - et son hypocrisie en ce qui a trait à ce dossier brûlant.Les Républicains et les Démocrates pointés du doigt, donc, dans un épisode qui, dès le lendemain, a fait couler beaucoup d'encre. «Sur le site Internet du Républicain Ron Paul et sur le World Socialist Web Site, l'épisode a eu droit à des critiques positives - comme quoi, d'une certaine manière, les extrêmes se rejoignent! Mais, j'ai l'impression d'avoir choqué pas mal de personnes plus au centre. Beaucoup m'ont accusé de vouloir tuer Law & Order », lance Rene Balcer (1), qui a coécrit Memo of the Dark Side et pour qui les meilleurs épisodes de l'émission sont ceux «qui traitent du pouvoir, de la manière dont on en use et dont on en abuse».

Il en va ainsi dans la télé qu'il écrit, très branchée sur l'actualité - «Dans l'épisode diffusé le 5 novembre, soit le lendemain de l'élection présidentielle, quelqu'un demandait au procureur Jack McCoy s'il allait aller travailler pour Obama», rappelle-t-il - et, comme le prouve Memo of the Dark Side, très critique de ladite actualité.

En fait, selon Martin Winckler (2), la fiction télévisée américaine ne se limite pas à faire écho à l'actualité - elle la précède régulièrement: «C'est là qu'il a été question pour la première fois de divorce, de sida, d'avortement, de violence conjugale, de corruption politique. C'est là qu'on a commencé à pointer du doigt des juges corrompus, des médecin crapuleux.» C'est aussi là, souligne-t-il, que l'on a vu les premiers présidents américains de couleur.

Et de rappeler qu'en 2001, soit un an avant l'élection de George Bush, Law & Order avait traité de fraude électorale et que dans la saison 2005-2006, il y a même eu un épisode dans lequel «on racontait que la cocaïne vendue à New York ne venait plus de la Colombie mais de l'Afghanistan parce que l'armée américaine fermait les yeux sur ce trafic - les trafiquants les aidant à lutter contre les talibans», note Martin Winckler, ne manquant pas de décocher au passage une flèche en direction de la télévision française: à ses yeux, si le Patriot Act a été critiqué très librement à la télé américaine, il serait impossible, en France, que la loi Sarkozy soit vilipendée.

La grande différence, c'est la liberté dont jouissent les créateurs américains. Parce que leur télévision est privée, que les dirigeants des réseaux ne sont pas nommés par l'État et que leurs productions ne dépendent pas de subventions gouvernementale. «Aux États-Unis, fait Rene Balcer, les producteurs fournissent l'argent et ne se mêlent pas du contenu - du moment qu'on ne tombe pas dans les discours haineux et extrêmes. L'important, pour eux, c'est que leur investissement rapporte.»

Et s'il ne rapporte pas, vite, on «débranche» la série - qui ne devient rentable qu'après avoir franchi le cap des 100 épisodes. «C'est à partir de là qu'elle peut être vendue en second marché, explique Martin Winckler, et que la production rentre dans ses frais avant de commencer à rapporter.» Or, c'est le but de la chose. Et, en ce sens, la télé américaine ressemble à toutes les télés.

Plus tendres à l'égard d'Obama ?

La fiction télévisée américaine a souvent tapé sur les doigts de l'administration Bush. «Pas assez», rigole Rene Balcer, mais c'était quand même particulièrement évident dans la série Boston Legal ou dans les huit épisodes impertinents de That's My Bush! Se passera-t-il la même chose avec l'administration Obama? Peut-être un peu... mais probablement pas beaucoup.

«Au moins 95 % des gens qui travaillent à Hollywood sont démocrates. Ils étaient massivement anti-Bush et massivement pro-Obama. Résultat: le discours ouvert ou subliminal dans la plupart des séries américaines est un discours progressiste», affirme Martin Winckler.

Comme le fait remarque Rene Balcer, les artistes sont en général intéressés par la société et l'humain. «Et si vous écrivez, vous allez écrire de ce point de vue-là. Or, l'essence du drame étant le conflit, vous écrirez du point de vue de l'opprimé, du laissé-pour-compte et non de celui des riches corporations qui l'écrasent.»

Et puis, il y a aussi le fait qu'historiquement, la télévision américaine, comme le cinéma, tendent vers la gauche. «Hollywood, raconte Martin Winckler, a d'abord servi de lieu de refuge puis de lieu d'expression artistique à des gens qui étaient très critiques envers la société et venaient d'endroits où il n'y avait plus de place pour la critique. Beaucoup arrivaient d'Europe, et fuyaient le nazisme.»

Le cinéma a ainsi commencé. Puis, la télévision est entrée dans les maisons. Et les studios ont réalisé, assez vite, qu'ils avaient les ressources physiques et humaines pour créer des produits qui pouvaient remplir les cases horaires du petit écran. «Le décor de Rio Bravo a alors servi à la série Gunsmoke. Et Reginald Rose, le scénariste de 12 Angry Men, a créé la série judiciaire The Defenders», poursuit Martin Winckler.

C'est ce passé, cette histoire, qui lui font dire qu'il faudrait que Barack Obama se mette à utiliser le pouvoir à son profit pour que la fiction télévisée made in USA l'utilise comme cible directe façon Bush. Ce qui ne l'empêche pas de pointer du doigt ce qui ne va pas dans son administration - et Rene Balcer ne s'en est pas privé dans le premier épisode de la 20e saison de Law & Order, Memo from the Dark Side.

«Mais pour l'instant encore, croit Martin Winckler, Obama incarne l'espoir. Et on ne tire pas sur l'espoir.»

 

(1) Rene Balcer: Montréalais d'origine, il vit aux États-Unis depuis une trentaine d'années. Il a d'abord écrit pour le cinéma (entre autres pour Francis Ford Coppola) avant de «découvrir» que s'il voulait que ses projets se réalisent, c'est en télé qu'il devait aller «car c'est là que les choses se passent... et elles se passent vite». Son nom est surtout associé aux séries Law & Order et Law & Order: Criminal Intent, dont il est l'un des producteurs exécutifs et pour lesquelles il a écrit quelque 300 épisodes.

(2) Martin Winckler: pseudonyme sous lequel le docteur Marc Zaffran a écrit La maladie de Sacks et, tout récemment, Le choeur des femmes (P.O.L.). Chercheur invité au Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal (CREUM), il est passionné de télévision et a écrit plusieurs essais sur les fictions télévisées. Il réfléchit sur le sujet en compagnie de Daniel Weinstock sur Radio-CREUM (creum.unmontreal.ca) et, régulièrement, sur Winckler's Webzine (martinwinckler.com)