Il n'y a pas si longtemps, Marie-Ève Perron était une diplômée du Conservatoire de théâtre au chômage, qui vivotait de boulots dans des cafés en contrats de rénovations. Lasse d'attendre à côté du téléphone, elle a tout plaqué pour tenter sa chance à Paris. Deux ans plus tard, les téléspectateurs français la découvriront dans le rôle de Cathy Casse-Couilles, la Lyne-la-pas-fine de l'adaptation européenne des Invincibles.

Sa voix est chaude et solide. Sa beauté est plutôt latine et généreuse à la Salma Hayek. Et surtout, surtout, son goût de la scène est d'une ardeur qu'on voit rarement. «À Montréal, j'étais en train d'étouffer, de me tirer dans le pied. Je ne savais pas quoi faire, qui appeler, comment mettre en branle mes projets. Parfois, la vie te donne un coup de pouce: il a fallu que tout échoue pour que je comprenne que j'avais quelque chose à vivre ici», me raconte Marie-Ève Perron, autour d'un thé vert sur la terrasse d'un café d'Avignon.

 

Ici, c'est bien sûr la France. Paris, plus précisément, où elle a élu domicile en 2007, et Avignon cet été, où elle était du Sang des promesses, présenté dans la cour du palais des Papes, où elle tenait les rôles de Loup (Forêts) et Joséphine (Littoral).

Même si, comme la majorité de ses pairs, Marie-Ève Perron a butiné d'un petit boulot à l'autre après sa sortie du Conservatoire, son entrée dans la vie professionnelle a été bénie d'une rencontre déterminante. Aux auditions du Quat'Sous, Wajdi Mouawad la remarque et lui propose un rôle dans Forces de Stanislas Nordey, pièce montée dans ce petit théâtre en 2005. Puis, vint l'aventure de Forêts avec la compagnie Abé Carré Cé Carré, dans laquelle elle joue Loup, une ado gothique en révolte et assoiffée de réponses.

«J'ai mis beaucoup de temps à accepter que Wajdi m'ait offert ça. Pourquoi j'ai été choisie, moi, et pas mes amis? On m'a déjà dit que notre métier ne fonctionnait pas au mérite, qu'il faut accepter ce fait, sinon, on n'en sort pas. Quand je regarde les jeunes ici, au festival d'Avignon, distribuer des brochures dans la rue, je les trouve très courageux. Ça prend une force de caractère et un amour du théâtre extraordinaire», songe la jeune femme, qui est comme un poisson dans l'eau dans le tumulte avignonnais.

Sauter dans le vide

Aujourd'hui, la franche et naturelle jeune femme n'a plus besoin de servir des cafés pour payer son loyer parisien. «Je savais que je pouvais me planter, mais j'étais prête à prendre le risque. Avant de partir, je me suis dit: qu'est-ce qui pourrait arriver de pire?» dit celle qui a quitté Montréal avec seulement son petit baluchon et du talent à revendre. «Le fait de me trouver en terre étrangère enlève beaucoup d'inhibitions qu'on a chez soi. Soudainement, je n'avais plus peur d'appeler des gens pour les rencontrer. Les choses se sont faites petit à petit, très simplement.»

Même si la jungle parisienne est sans doute plus féroce que le giron artistique québécois, c'est en France que la jeune actrice de presque 30 ans a trouvé sa bonne étoile. «J'étais ici, en Avignon, l'année dernière, quand une directrice de casting française qui avait vu Forêts est venue me rencontrer. Elle m'a demandé si je pouvais jouer avec l'accent français. Je lui ai dit que oui, même si je n'en savais rien!»

Quelques mois plus tard, elle reçoit des nouvelles de l'agente, qui lui propose une audition pour une série nommée Les Invincibles. «Le titre me disait quelque chose. Quand j'ai compris que c'était l'adaptation française des Invincibles, je suis tombée en bas de ma chaise.»

Marie-Ève, qui n'avait pas vu la série, ne savait par ailleurs pas pour quel rôle elle était sollicitée. «Des amis m'avaient parlé de la fameuse scène dans la douche où Catherine Trudeau (Lyne-la-pas-fine) dit: «Tes poils de cul dans la baignoire, ça me tente pas de les ramasser.» Quand j'ai vu que c'était ce que j'avais à jouer en audition, j'ai compris que c'était pour le rôle de Lyne.»

Dans l'adaptation française des Invincibles, Lyne-la-pas-fine devient une Cathy Casse-Couilles tout aussi cauchemardesque et castratrice. «Elle n'a rien perdu de son côté incisif. Pendant le tournage, des gars de l'équipe venaient me voir pour dire qu'ils pensaient que leurs blondes étaient une Cathy Casse-Couilles. J'ai hâte de voir si la série va révéler le côté control freak de la femme française. C'est certain qu'on entend ici parler de la Germaine qui contrôle son homme.»

Les Invincibles sera diffusé sur la chaîne Arte en février 2009 (la première saison est déjà tournée). Marie-Ève passera son automne sur les planches, puisqu'elle jouera Littoral au CNA, et tournera en Europe avec Le sang des promesses.

Chez elle, à Paris, elle reste active et créatrice. Elle fera bientôt la mise en scène pour le spectacle d'une amie, planche sur des projets. S'installera-t-elle pour de bon en France? Elle l'ignore. «Le travail, pour moi, se trouve surtout en Europe. Comme je ne suis pas là, au Québec, personne ne m'y attend. Je vais où les projets me guident.»

Marie-Ève Perron trouve étrange de se voir à la télé, jouer avec un accent français, elle qui ne s'est jamais vue au petit écran au Québec. Les mecs français ont intérêt à attacher leur tuque: la cousine de Lyne-la-pas-fine se prépare à leur faire passer un mauvais quart d'heure. Vas-y, montre tes dents, Dark Evil Cathy!