Pour ses 60 ans, l'animatrice Chantal Jolis n'a pas reçu de cadeau. Elle a reçu un diagnostic: celui du Parkinson, une maladie dégénérative des muscles. Celle qui croyait mourir derrière le micro a senti sa voix fléchir, sa parole s'épaissir, ses mots glisser. Début juin, Chantal Jolis a animé sa dernière émission sur les ondes d'Espace Musique, mais depuis, elle demeure opiniâtre, combative et convaincue qu'elle n'a pas dit son dernier mot.

Chantal Jolis marche encore. Lentement, mais elle marche. Parfois, son corps amaigri penche comme une petite tour de Pise et la pousse à tituber, mais aussitôt qu'elle s'en aperçoit, Chantal s'arrête, se redresse et reprend sa route avec la dignité d'une dame de 62 ans qui refuse de laisser la maladie gagner complètement.

Ce qui me frappe en la voyant s'amener lentement sur le trottoir baigné de soleil, c'est le sourire un peu ironique qu'elle me lance et dans lequel il y a une sorte de fatalisme, mais aussi une révolte teintée d'humour. Eh oui, c'est moi. J'ai l'air fine, hein? semble-t-elle me dire.

Je ne me souviens plus de la dernière fois que j'ai croisé Chantal Jolis dans les couloirs de Radio-Canada. C'était il y a six mois, un an ou peut-être plus. Elle s'était déjà convertie à l'islam, mais chose certaine, si la maladie avait commencé son sournois travail de sape, les ravages n'étaient pas encore apparents.

Maintenant attablée à la terrasse d'un petit resto iranien tenu par un ami musulman, celle qui se définit comme une mauvaise musulmane, puisqu'elle continue de boire et de fumer, commande un jus de gingembre (excellent pour les cordes vocales) et raconte comment tout cela a commencé. Il y a environ deux ans, Chantal Jolis a ressenti des douleurs au bras. Puis, une sorte de lenteur s'est emparée de tous ses mouvements. Celle qui avait toujours été une grande hyperactive a senti l'énergie se retirer inexorablement de son corps drainé par la fatigue. Elle est allée consulter, a passé une batterie de tests. Son médecin croyait qu'il s'agissait peut-être d'une tumeur au cerveau qui nécessiterait une courte opération et puis un jour, le diagnostic est tombé: Parkinson.

"C'est dommage. J'aurais préféré une tumeur au cerveau", lui a lancé son médecin d'un air désolé.

"Autant dire que ç'a été un choc et que ça l'est encore, raconte-t-elle avec une élocution parfois claire, parfois un brin pâteuse. Bien franchement, je trouve ça injuste. Je veux dire par là que j'aurais pu avoir une autre maladie qui m'aurait permis de rester au micro, mais là, je perds les deux choses les plus essentielles à mes yeux: la parole et la mobilité. L'enfer..."

Choisir de lutter

Diminuée, mais non vaincue, Chantal Jolis a décidé de se battre. Suivie de près par les chercheurs de l'Institut neurologique de Montréal, dont elle dit le plus grand bien, elle veut suivre des cours de chant pour redonner du tonus à sa voix et jure de se remettre au piano.

"Face à un truc comme celui-là, t'as le choix. Tu peux décider d'en finir tout de suite. Mais si tu restes, faut que tu luttes moralement et physiquement. Surtout que, par rapport aux cas lourds que je vois dans les couloirs du Centre neurologique, je suis la jeune poulette encore fonctionnelle. On dirait que de voir ce que je vais devenir dans 20 ans me donne encore plus envie de mettre toutes les chances de mon côté pour retarder l'échéance le plus longtemps possible."

La dernière chose que Chantal Jolis souhaite, c'est devenir une porte-parole, voire une affiche ambulante, pour le Parkinson. En même temps, elle entend bien profiter de son statut pour lancer quelques messages au sujet de la maladie et des préjugés qu'elle engendre.

"Dès que je me pointe quelque part en titubant un peu, les gens pensent automatiquement que je suis droguée ou saoule. C'est pourquoi, d'entrée de jeu, je les préviens que je fais du Parkinson. J'aurais aimé pouvoir en faire autant à Espace Musique. C'est-à-dire prévenir mes auditeurs que, par moments, les mots allaient glisser et ma voix faiblir, mais que ce n'était pas plus grave que cela. Dans le fond, pour ceux qui ne sont pas malades, la maladie est une belle occasion d'accepter la faiblesse de l'autre plutôt que de la juger."

Hommage de Monique Giroux

Son désir de rester en ondes, même malade, n'a pas trouvé preneur auprès de la direction d'Espace Musique, qui a estimé qu'il valait mieux la retirer des ondes et lui confier un autre mandat. C'est ainsi qu'elle s'est vue chargée de la création et de la réalisation d'un site web pour les musiques du monde, domaine pour lequel elle a développé une grande expertise depuis plusieurs années à Espace Musique.

Du coup, l'animatrice Monique Giroux a décidé que, pour sa dernière émission de la saison sur Espace Musique, elle rendrait hommage aux 40 ans de radio de Chantal Jolis.

"Les gens pensent que radiophoniquement parlant, je descends de Myra Cree. C'est vrai, mais je descends aussi de Chantal Jolis, que j'ai écoutée religieusement pendant toute mon adolescence. Chantal a apporté un son neuf et moderne à la radio de Radio-Canada. Elle a décoincé cette radio-là en tutoyant tout le monde gros comme le bras, en s'engageant personnellement dans ses émissions et en se montrant parfois groupie des artistes, mais sans complaisance. Et puis, quand elle est arrivée ici à la demande de Jacques Houde, elle a apporté avec elle 200 disques de France. Notre découverte de la nouvelle chanson française, c'est grâce à elle."

Hier, à l'émission de Giroux, les témoignages d'amitié fusaient du Québec comme de la France. Claude Dubois est venu lui chanter la pomme pendant que Véronique Sanson et Catherine Lara la saluaient au téléphone. Les extraits d'émissions de Chacun son tour, Bouchées doubles ou de L'oreille musclée nous ont rappelé les moments forts d'une bête de la radio qui a été la dernière à faire une entrevue avec Félix Leclerc, chez lui, quelques jours avant sa mort, et qui a été pratiquement la seule à la radio d'ici à interviewer les monstres sacrés qu'étaient Léo Ferré et Serge Gainsbourg.

"Ils me veulent, eux!"

Arrivée à Montréal pour deux semaines dans le cadre d'un échange radiophonique avec la France, Chantal Jolis ne se doutait pas qu'elle y passerait le reste de sa vie adulte.

"Mon plus grand bonheur en arrivant a été de constater que tout ce que je faisais à la radio en France et dont on disait que c'était des défauts, devenait des qualités ici. Quand je suis retournée à Paris pour donner ma démission et que mon patron m'a demandé pourquoi, je me souviens lui avoir répondu: parce qu'au Québec, ils me veulent, eux!"

À son retour, à l'automne 1980, Chantal Jolis trouve dans sa nouvelle patrie un métier, un micro et l'amour. Pendant deux ans, elle anime Bouchées doubles avec Jean-François Doré, puis C'est du Jolis et finalement, pendant sept ans, L'oreille musclée.

Son style familier, vivant et décoincé plaît tant à Guy Fournier qu'il lui offre le premier talk-show d'un tout nouveau réseau du nom de TQS. Jolis à croquer débute sur les ondes de TQS en septembre 1986 avec une Chantal Jolis qui a maigri de plus de 30 livres, mais qui, malgré ses grands talents de communicatrice, ne réussit pas à s'imposer auprès du public.

"Le plus pénible de cette aventure a été la découverte qu'il y avait des gens qui ne m'aimaient pas. Avant cela, j'étais naïve. J'étais convaincue que tout le monde m'aimait et là, j'ai compris que ce n'était pas le cas. Ça m'a blessée. Les gens ont dit que j'étais arrogante. Je ne sais pas. Suis-je arrogante?"

Face à cette question qui semble l'angoisser, je lui réponds qu'elle n'était pas plus arrogante que n'importe quelle femme ayant de l'aplomb, du tonus et du... muscle. Le poids de ce dernier mot et de tout ce qu'il a représenté dans la vie de Chantal Jolis nous saisit à la gorge un instant. Puis subitement, nous éclatons de rire, signe que la vie continue malgré tout. Même à micro fermé.