Dans la grotesque tourmente qui a entouré le Bye Bye, un chroniqueur d'un grand quotidien a suggéré la semaine dernière que Radio-Canada ne jouait plus son rôle de télévision publique et qu'elle ressemblait de plus en plus aux privées.

Non seulement je ne vois aucune logique dans ce raisonnement, mais je perçois totalement l'inverse. Les nostalgiques de la «grande époque culturelle» de Radio-Canada, qui ont une mémoire sélective, ne retiennent que Les beaux dimanches, L'heure du concert et les grands téléthéâtres. Ils oublient comme par enchantement Les Coqueluches, Allô Boubou, Louvain à la carte, Les démons du midi et Le travail à la chaîne. En réalité, Radio-Canada n'a jamais présenté aussi peu de «quétaineries» qu'à l'heure actuelle. Il suffit de voir un seul épisode d'Ici Louis-José Houde pour le constater.

 

Autre point majeur: il n'y a pas 20 ans, la grille-horaire de Radio-Canada foisonnait de séries américaines doublées. Pas en été ou la fin de semaine, mais bien en semaine, le soir, en heure de grande écoute. Dallas, L'incroyable Hulk, La femme bionique, Dr Welby, la liste est longue.

C'est dire que la société d'État a rarement diffusé aussi peu de séries américaines qu'actuellement. Et quand elle en diffuse, c'est hors saison, ou la fin de semaine, et ce sont parmi les meilleures du moment: Dre Grey, leçons d'anatomie, Beautés désespérées, Perdus, Les Tudor, Chère Betty. On est loin de Dallas.

D'autre part, on a rarement vu autant de séries audacieuses dans la programmation de Radio-Canada, alors que la télévision généraliste vit pourtant une crise et qu'il n'y a jamais eu autant de chaînes spécialisées. À part l'ignoble Grosse vie, il n'y a que ce réseau qui a l'audace de diffuser des oeuvres comme Tout sur moi, Les Parent, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, C.A., Les étoiles filantes, Les Invincibles. Même si elle est hautement subventionnée et profite de crédits d'impôt - ne l'oublions pas -, TVA ne présenterait jamais ça.

Dernier point: les puristes voudraient évacuer toute émission de variétés de Radio-Canada. Comme si les variétés représentaient de la sous-télévision. Attention: dans «télévision publique», il y a le mot publique. Et le public de Radio-Canada n'est pas composé que de madames d'Outremont qui lèvent le nez sur les variétés et l'humour. La Société d'État doit présenter de tout, y compris des variétés et de l'humour. Et avec toutes les émissions d'affaires publiques qu'elle présente actuellement - personne n'en fait autant nulle part -, on peut dire qu'elle joue son rôle mieux que jamais.

J'ai critiqué sévèrement Radio-Canada à de nombreuses reprises durant la dernière année - surtout son service de l'information - et je continuerai à le faire, parce que certaines décisions de ce réseau m'horripilent au plus haut point. Mais ne mélangeons rien, ne soyons pas aveuglés par la dérive d'un Bye Bye ou par des guerres d'empires: Radio-Canada joue son rôle de service public mieux que bien des télés d'État dans le monde, notamment celle de la France, qui farcit sa programmation de séries américaines en heure de grande écoute.

Des échos sur le blogue

La publication de cette chronique sur mon blogue a suscité plus de 125 commentaires, à mon grand étonnement majoritairement favorables à Radio-Canada. Je m'attendais à un débat sur la convergence, mais les internautes ont préféré souligner la nécessité de conserver notre télévision publique en santé, plutôt que de bêtement la dénigrer en se remémorant «le bon vieux temps».

La télévision de Radio-Canada produit-elle suffisamment d'émissions à Québec? Assurément non. Devrait-elle accorder davantage d'espace à la musique classique? Évidemment. Est-elle trop soumise aux lois du marché publicitaire? Très certainement.

Mais à l'heure où TQS se consacre désormais aux 18 à 34 ans, et maintenant que TVA ne diffuse pratiquement plus d'émissions d'affaires publiques et plus aucune émission pour enfants, Radio-Canada reste le seul vrai réseau généraliste au Québec.