À quoi ressemble le berceau de la téléréalité? À un loft concentrationnaire occupé par des Barbie calculatrices et Monsieur Muscle épilés? À une banque clinquante meublée de mallettes bourrées de fric et de beautés? Désolée de vous décevoir, mais le berceau de la téléréalité et des productions Endemol à Hilversum, aux Pays-Bas, ressemble... au paradis.

C'est ici, à 30 km d'Amsterdam, dans une sorte de Westmount néerlandais, pavé d'arbres majestueux et de maisons cossues, que John de Mol et son rival Joop van den Ende ont fusionné et fondé, en 1994, les productions Endemol d'où sont sorties les premières téléréalités: d'abord Big Brother (Loft Story), puis Deal or No Deal (Le Banquier). Et c'est ici, par un matin radieux de novembre, que le taxi m'a déposée sans que j'aie besoin de donner l'adresse ni de prononcer autre chose que le nom magique: Endemol.

 

Bien que l'entreprise compte maintenant des dizaines de bureaux, autant à Amsterdam, Londres, Paris et New York et qu'elle soit un holding international détenu à parts égales par le magnat italien Berlusconi, par John de Mol et par Goldman Sachs, je voulais de mes yeux voir où tout a commencé et aussi profiter de l'occasion pour voir où tout cela s'en va. La téléréalité a-t-elle encore un avenir? Et que dire de l'avenir d'Endemol, que John de Mol a vendu en 2000 pour la modique somme de 5,4 milliards d'euros et dont la santé financière pourrait être compromise par la tourmente que traverse actuellement Goldman Sachs, un de ses trois actionnaires?

C'est avec ces questions en tête que j'ai franchi le seuil du 70 Bergwerg, au son du chant des oiseaux et du gargouillis d'un ruisseau pas loin.

Péril en la demeure?

Première surprise: pas de caméras de surveillance, de gardiens de sécurité, de bergers allemands ou de barbelés ne pavent la voie jusqu'à la porte d'entrée. On entre chez Endemol comme dans un moulin avant de se retrouver dans un hall moderne et tout blanc où deux gentilles réceptionnistes vous demandent de patienter en vous offrant un café. Deuxième surprise: si jamais il y a péril en la demeure, rien n'y paraît. Sur un mur, la maquette du nouveau complexe Endemol à Amsterdam, évalué à plusieurs centaines de millions et prévu pour 2010, s'étale dans toute son immensité avec ses futurs studios de production, ses ateliers de décors, ses bureaux et services de traiteur.

En attendant la fin des travaux, le complexe de Hilversum demeure le siège social où je rencontre Job van Wagensveld, le directeur des ventes internationales et l'interlocuteur privilégié des producteurs québécois. Quand TQS, TVA ou Productions J veulent acheter un format Endemol, ils passent directement par Hilversum et par le bureau de Job, plutôt que par Endemol USA comme le font les producteurs du Canada anglais.

Pourquoi? «Parce qu'on a toujours eu une bonne relation avec les producteurs québécois. Même si nous ne parlons pas la même langue, nous partageons certaines affinités culturelles et une sensibilité plus européenne. Et puis nos formats marchent bien chez vous. Il n'y a aucune raison de changer notre façon de faire», affirme le directeur.

Reste que certains formats s'épuisent plus vite que d'autres. C'est le cas cette année de Loft Story qui fait la moitié moins de cotes d'écoute. Bien que les déboires de TQS soient en partie responsables de la chute, on sent un essoufflement du genre. Le directeur n'est pas d'accord. «Détrompez-vous, la téléréalité, ce n'est pas fini. Nous avons encore énormément de demandes de partout dans le monde. Et même si certains pays sont à la recherche de nouveaux formats, notre vaisseau amiral demeure Big Brother (Loft Story). Même chose pour Le Banquier qui continue de rouler dans une centaine de pays.»

Le pouvoir du jeu télévisé

À l'autre bout de la ville, Dick de Rijk, le créateur du Banquier, qui est né et qui continue de vivre à Hilversum, confirme. «De tous les côtés de l'océan, dans environ 150 pays, incluant l'Afrique, dans toutes les cultures possibles et imaginables, ce show demeure un phénomène. Encore tout récemment, trois nouveaux pays, la Georgie, l'Ouganda et Malte, se sont joints au club. Je n'en reviens pas. C'est moi qui ai créé cette affaire-là! Je l'ai d'abord testée sur mes enfants de 12 et 14 ans avec des boîtes d'allumettes. Tant qu'il n'y avait pas d'argent dans les boîtes, ça ne les intéressait pas, mais le jour où j'ai mis 50 euros dans une des boîtes, le jeu s'est mis à les passionner. À l'époque, je ne visais pas un public en particulier. Je voulais que le jeu soit pour tout le monde sans égard à l'âge, la culture, l'éducation ou le statut social. Je voulais que mon jeu marche au Nigeria comme en Inde, en Belgique comme en Chine. Non seulement ça a marché dès le coup d'envoi au MIP en 2002, mais six ans plus tard, la formule ne cesse de faire des petits», raconte celui qui a débuté dans le métier comme publicitaire, mais aussi comme concepteur de jeux de table.

Aujourd'hui, l'auteur du Banquier ne croit pas tant au pouvoir de la téléréalité qu'à celui du jeu télévisé. «Ce n'est pas une coïncidence, m'écrit-il dans un mail, si les jeux télévisés comptent pour 50% des ventes internationales en télé alors que tous les autres genres - fiction, sitcom, docu, infos... - se partagent le reste. Les jeux télévisés voyagent bien, s'adaptent à toutes les cultures. Leur spécificité les protège du plagiat et ils peuvent durer une éternité comme en témoignent des jeux comme The Price is Right ou Wheel of Fortune, des shows plus vieux que la plupart d'entre nous.»

Formules gagnantes

Chez Endemol, le directeur des ventes internationales affirme que les jeux télévisés pour toute la famille comme Le Banquier sont devenus encore plus populaires en temps de crise économique.

«C'est pour ça que la tourmente que traverse actuellement un de nos importants actionnaires (Goldman Sachs) ne nous fait pas paniquer. Nous ne serons pas affectés directement, mais probablement que nos clients le seront. Il y aura moins d'argent pour la publicité de nos émissions. Mais en même temps, il y aura toujours une demande pour du divertissement familial le samedi ou le dimanche soir comme chez vous. La compétition entre les diffuseurs sera la même. Si bien que tout le monde va être à la recherche de formules gagnantes et de blockbusters, ce qui demeure notre spécialité. Bref, crise économique ou pas, Endemol va continuer de produire environ 70% de téléréalité et de jeux télévisés. Pour le reste, nous comptons faire 15% de productions destinées au web et 15% de fiction.»

De la fiction? Devant mon air ahuri d'apprendre que les inventeurs de la téléréalité se tournent maintenant vers un genre qu'ils ont torpillé, le directeur m'explique qu'Endemol veut tenter sa chance en fiction en raison d'une structure internationale très forte qui lui donne accès à 80% des bandes de diffusion à travers le monde. «C'est clair que face aux réseaux américains qui ont plusieurs longueurs d'avance sur nous en fiction, ça ne sera pas facile. Mais nous croyons être en mesure de relever le défi.»

Émissions prometteuses

En attendant, Endemol mise sur le genre qui l'a mis au monde: la téléréalité et ses mille et une variations sur un même thème: le fric. Parmi les émissions les plus prometteuses selon le directeur, d'abord Wipeout, produite par Endemol USA et diffusée sur ABC cet été. Ici, une douzaine de concurrents, dans diverses formes physiques, se livrent à une course à obstacles sur d'immenses blocs en caoutchouc qui, plus souvent qu'autrement, les font déraper et plonger dans une mer épaisse de boue pendant que deux commentateurs sportifs se foutent de leur gueule. Prix à gagner: 50 000$.

Estate of Panic, qui vient de prendre l'affiche au Sci-Fi Channel et de récolter une très mauvaise critique dans Variety. L'émission a été tournée en Argentine pour réduire les coûts et elle est animée par l'acteur Steve Valentine (de la série Crossing Jordan). Sept concurrents se retrouvent dans une maison de l'horreur dont les pièces sont bourrées de dangers comme de fric. Pour trouver le fric, il faut évidemment surmonter ses peurs et ses aversions. Mais selon la critique du Variety, tout a l'air arrangé avec le gars des vues et plus ennuyeux qu'épeurant.

Autre nouveauté, Ton of cash, un concept développé pour Endemol Moyen Orient pour remplacer Big Brother qui a été retiré des ondes au bout d'un mois à la suite de protestations des intégristes religieux. Ici, une poignée de concurrents se promènent dans le désert avec 408 000$ en espèces sonnantes et trébuchantes. Ici, le prix est un fardeau dont les concurrents doivent se délester s'ils veulent survivre à la chaleur et à l'épuisement.

Et enfin Spin Star, dont la pièce de résistance est un immense vidéo-poker planté au milieu d'un studio casino. Dans ce concept développé par Endemol UK, les concurrents répondent à des questions et gagnent de l'argent pour celui qui fait tourner la roue de fortune et qui, contrairement à notre Yves Corbeil national, change tous les jours.

Quant à la vraie roue de fortune, elle continue de tourner pour Dick de Rijk qui conclut son courriel en écrivant: «Maintenant que même le président des États-Unis a participé à mon émission, je crois que je peux mourir en paix sans même avoir vu Naples.» Sachant qu'il est le père de quatre enfants, on lui souhaite de vivre encore longtemps. Et de ne pas s'étouffer de rire la prochaine fois qu'il ira à la banque voir son banquier...