À New York, les taxis sont jaunes; à Londres, ils sont noirs; et à Paris, ils sont cons, écrit Frédéric Beigbeder en oubliant de mentionner les taxis de Montréal, ces engins brinquebalants. parfois conduits par des humoristes qui aiment aller dans tous les sens, y compris dans le sens de nos préjugés pour mieux les démasquer. C'est précisément ce que fait Patrick Huard avec la série Taxi 0-22 dont la deuxième saison vient de sortir sur DVD.

Le 2 janvier prochain, Patrick Huard aura 40 ans. Non seulement la perspective ne l'enchante guère, mais le gars le plus occupé en ville a peur. Peur de manquer de temps pour réaliser ses mille et un projets. À l'occasion de la sortie du DVD de la deuxième saison de Taxi 0-22, nous l'avons rencontré chez Paul patates, lieu de prédilection de son alter ego, Rogatien Dubois. 

La table V.I.P. chez Paul patates est située complètement au fond de ce casse-croûte mythique, rue Charlevoix, dans Pointe-Saint-Charles. La table n'a rien de plus que les autres sinon qu'elle est au fond, collée sur la porte des toilettes et que Patrick Huard s'y installe régulièrement pour donner des entrevues ou se faire maquiller. C'est le cas aujourd'hui alors que les journalistes font pratiquement la queue pour avoir une audience avec l'humoriste devenu acteur, réalisateur, producteur de séries télé et maintenant de DVD puisque le DVD de la deuxième saison de Taxi 0-22 porte aussi bien la marque TVA Films que celle de Jessie Films, la compagnie d'Huard et de François Flamand.

 

Nous sommes au lendemain de l'incroyable victoire de Barack Obama. Le soleil brille sur Pointe-Saint-Charles et chez Paul patates. Dans le silence des ouvriers recueillis devant leur trio «hot-dog, Coke, poutine», je demande à Patrick Huard ce que Rogatien, son alter ego, pense de la victoire d'Obama.

Rogatien et Obama

On le sait, Rogatien, le célèbre chauffeur de taxi qui sévit sur les ondes de TVA depuis deux saisons et qui reviendra en janvier prochain, a toujours une opinion sur tout et la plupart du temps, il ne met pas de gants blancs pour l'exprimer. Un premier président noir à la Maison-Blanche, ça doit lui en inspirer des vertes et des pas mûres, non? Je pose la question en espérant que Patrick Huard sorte sa casquette de chauffeur de taxi et qu'il se l'enfonce jusqu'aux oreilles avant de se lancer dans un long monologue décousu à la Rogatien. Mais l'acteur et réalisateur de Taxi 0-22 décline tout commentaire avec un sourire sibyllin.

Cet été, lors du tournage des 20 derniers épisodes de la série, Huard a inclus une discussion sur Obama entre Rogatien et Robert, l'ami haïtien qui lui a sauvé la vie alors qu'il était attaqué au couteau dans son taxi. Par mesure de prudence, deux versions ont été tournées. Une en prévision de la victoire d'Obama, l'autre en cas de défaite. Mais maintenant que Huard sait quelle version sera diffusée, pas question de brûler la mèche et d'en révéler la moindre bribe. Si le public veut savoir ce que Rogatien pense d'Obama, il devra attendre jusqu'en janvier, lorsque la série reprendra l'antenne à TVA.

«La seule chose que je peux dire à ce sujet, c'est que plus ça va, plus Rogatien est appelé à réévaluer ses valeurs, à s'ouvrir l'esprit et à laisser tomber ses préjugés. Il n'a pas le choix. La vie a mis sur son chemin un ami noir, un fils gai et une belle blonde dont il est amoureux, bref un paquet de gens et de situations qui le poussent à évoluer malgré lui. D'ailleurs, si j'avais à cataloguer cette série, je dirais qu'il s'agit d'un essai sur le changement. C'est aussi une démonstration de l'absurdité de la pensée de droite. En même temps, je joue avec les idées de droite comme avec les idées de gauche. Par moments, je profite de la grande gueule de Rogatien pour dire des affaires que je pense et, par moments, je lui fais dire des énormités qui sont exactement le contraire de ce en quoi je crois. Comme ça, le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser.»

Pas qu'un chialeur

Il y a maintenant un peu plus de trois ans que Huard s'est lancé et «enfargé» dans l'aventure de Taxi 0-22 qu'il réalise, produit, interprète et coécrit avec une gang de gars parmi lesquels on retrouve François Camirand, Paco Lebel, et une seule fille, Josée Fortier. Or pour cet infatigable touche-à-tout qui est incapable de rester en place longtemps et encore moins capable de ne faire qu'une chose à la fois, trois ans, c'est une éternité. Qu'est-ce qui l'a retenu si longtemps auprès de Rogatien?

«Ce qui m'a retenu, c'est Rogatien lui-même, cette espèce de bibitte qui s'est mise à grandir et à se développer dramatiquement. Il faut dire aussi qu'au début, on s'est payé le luxe de tourner pendant deux semaines, puis de tout arrêter pour prendre du recul et voir où on s'en allait. Si on avait continué sur notre lancée initiale avec un gars qui chiale tout le temps, non seulement ça aurait été insupportable à écouter, mais moi, je débarquais. Ça ne m'intéressait absolument pas de continuer dans cette voie-là. Mais quand j'ai vu qu'il y avait moyen de développer le personnage, de lui donner un père (Yvon Deschamps), un fils, un passé, là, j'ai embarqué.»

Huard a raison d'affirmer que le personnage a pris de l'ampleur. Parfois même, il a tellement d'ampleur qu'il écrase tout le monde sur son passage, y compris les personnalités et vedettes qui montent à bord de son taxi. Hormis Denise Filiatrault qui s'empare du volant de son taxi pour un rallye infernal et Michel Barrette qui se lance dans un monologue furieux contre les automobilistes, les vedettes doivent se lever de bonne heure pour de ne pas s'en laisser imposer par Rogatien. Même phénomène pour les comédiens réguliers comme Sylvie Boucher, Jean Turcot et Clauter Alexandre, dont les personnages parfois esquissés semblent exister uniquement pour mettre en valeur le chauffeur de taxi. Quant à Yvon Deschamps, qui joue le rôle du père de Rogatien, mais qui le joue toujours visage caché, son influence sur le jeu de Huard est indéniable.

Projets de films

Il n'en demeure pas moins qu'avec les 20 nouveaux épisodes tournés cet été, Huard estime que l'aventure tire à sa fin et qu'après quatre saisons, Rogatien est mûr pour prendre sa retraite. «On a tourné une sorte de fin ouverte, mais qui conclut la série. Je pense que c'est là que ça va finir», explique-t-il.

Pour ce qui est de la suite des choses, Huard n'est pas à court de projets. Surtout de projets de films. Il développe avec Benoit Dutrizac un thriller politique sur le thème de l'eau potable, un film noir campé dans l'univers des tueurs à gages avec Pierre-Yves Bernard, le scénariste de Minuit, le soir. Il veut aussi adapter pour le cinéma la pièce du Canadien anglais Adam Pettle, Therac 25, une histoire d'amour entre un gars et une fille atteints d'un cancer et unis par le même traitement. Et comme si cela ne suffisait pas, Huard planche aussi sur la suite de Bon cop, bad cop, qu'il écrit mais n'a aucunement l'intention de réaliser.

«Des fois, je réalise les scénarios des autres. Des fois, les autres réalisent les miens. Un jour, j'aimerais réaliser un scénario que j'aurais moi-même écrit, ce qui ne m'est pas encore arrivé. Chose certaine, j'aime mélanger les rôles, les genres et les fonctions. La seule affaire que je ne veux plus faire, c'est de réaliser et de jouer en même temps. Ça, c'est clair que c'est fini pour moi.»

Les coupes: la cause, oui, mais pas les méthodes

Depuis la fin de l'été, Huard consacre le meilleur de son temps au montage de nouveaux épisodes de Taxi 0-22 . Mais ce n'est pas son travail qui l'a tenu loin des manifs des artistes contre les coupes en culture du gouvernement Harper. C'est un certain scepticisme face à ce qu'il perçoit comme un mouvement trop émotif et désorganisé.

«Disons que je m'identifiais à la cause des artistes, mais pas à leurs méthodes, qui étaient improvisées et qui manquaient de cohésion. Le monde ordinaire a trouvé que les artistes avaient l'air d'une bande de chialeurs et je suis assez d'accord avec ce jugement. Il aurait fallu qu'on explique simplement, et chiffres à l'appui, pourquoi chaque dollar investi dans la culture rapporte 11$ et pas seulement aux artistes. À l'ensemble de la société. Cela dit, j'ai quand même fait ma part. C'était moi la voix qui donnait des chiffres à la fin du vidéo lancé sur le net sous le titre Péril en la culture.»

Même si Huard trouve que le public a été mal informé par les artistes, il n'a pas l'intention de se muer en comptable ni en prof de mathématiques pour clarifier les choses. Acteur, scénariste, réalisateur, et bientôt professeur d'interprétation à Star Académie, sont des métiers qui, pour l'instant, lui suffisent amplement. Quant au métier d'humoriste, le diplômé de l'École de l'humour de 1990 n'y renonce pas entièrement, mais il ne veut plus jamais repartir en tournée de la province comme autrefois. «Je suis trop vieux pour dormir tous les soirs dans des motels bruns au tapis shag miteux. À 20 ans, faire le tour de la province et se retrouver sur scène tous les soirs, c'est cool. T'es jeune. T'as le goût de sortir, de rencontrer du monde, de faire la fête. Mais à 40 ans, c'est différent. Pour ma part, j'ai de la misère à rester trop longtemps loin de ma fille et de ma blonde à la maison. Et puis, c'est un métier où t'es presque tout le temps tout seul. Les techniciens avec qui tu tournes, tu les vois une grosse heure par jour et le reste du temps, t'es seul. Or, moi j'aime ça être en gang. C'est pour ça que je ne suis jamais plus heureux que sur un plateau de cinéma ou de télévision. Il y a un côté de moi qui est solitaire, mais l'autre a de plus en plus besoin de sa gang.»

Se pourrait-il que Patrick Huard soit en train de changer lui aussi? C'est en tous les cas l'impression qu'il me laisse sur le pas de la porte de Paul patates. Plus calme, moins agité, le futur quadragénaire a l'air de prendre la vie un peu plus mollo qu'avant. Comme quoi conduire un taxi, ça ne change pas le monde, mais ça peut à l'occasion changer le chauffeur.