Rebecca Makonnen me donne rendez-vous chez Ô Chalet, boulevard René-Lévesque. L'animatrice de Studio 12 (Radio-Canada, samedi 17 h), formée en journalisme à l'Université Concordia, est née en Éthiopie mais a grandi au Québec. Elle a célébré comme bien des gens la semaine dernière la victoire de Barack Obama. Discussion politique entre partisans avoués.

M.C.: La campagne présidentielle t'a intéressée?R.M.: Plus les élections approchaient et plus je m'intéressais aux reportages autour de la campagne. J'entendais des Afro-Américains dire que jamais de leur vivant ils n'auraient pu imaginer voir un président noir. Et je me suis souvenu que toute petite, pour moi aussi un président noir, c'était utopique. Ça et «les voitures vont voler», c'était du pareil au même. La journée de l'élection, j'étais très angoissée. J'ai refusé de passer la soirée avec des amis. C'était trop émotif. J'ai préféré rester chez moi.

M.C.: L'élection avait une résonance particulière pour toi...

R.M.: Mes parents, un Éthiopien et une Québécoise, se sont mariés il y a 45 ans, quand les mariages interraciaux n'étaient vraiment pas à la mode. L'année où Martin Luther King a prononcé son discours «I have a dream...», ils se sont mariés à Londres parce que ma grand-mère, Dieu ait son âme, n'était pas emballée par l'idée qu'ils se marient au Québec. Mon père avait beau être un chirurgien, il était noir.

M.C.: C'était Guess Who's Coming To Dinner?

R.M.: Exactement, sans Sidney Poitier. C'est dommage parce que mon père est mort quand j'avais 2 ans et je me demande aujourd'hui ce qu'il aurait pensé de l'élection d'Obama. Je sais qu'il a été très affecté par l'assassinat de John F. Kennedy. Ma mère me l'a souvent raconté. J'ai pleuré mardi soir. C'est difficile à expliquer, mais ça avait sans doute à voir avec toutes les fois où je me suis fait dire, quand j'étais petite, «Retourne chez toi», «face de caca» ou même, il y a deux ans par une maquilleuse: «T'es quand même cute pour une Noire.» J'ose espérer que les choses vont changer. Je ne suis pas Rosa Parks. Je ne suis pas le père de Gregory Charles qui devait s'asseoir à l'arrière de l'autobus. Je n'ai pas été esclave et je n'ai pas connu le Ku Klux Klan, mais ça n'a pas toujours été simple.

M.C.: J'entendais un homme de 76 ans à la radio la semaine dernière qui rappelait que lorsqu'il était jeune, il ne pouvait pas aller au cinéma avec les Blancs, ni aux toilettes.

R.M.: Ça ne fait pas 200 ans. C'est hier.

M.C.: Pour lui, plus jeune, il était hors de question qu'un Noir devienne président des États-Unis. C'est ce qui m'a le plus touché dans le discours d'Obama. Quand il a parlé de cette dame de 106 ans et de Martin Luther King. Ce n'était pas plaqué, ce n'était pas une formule de politicien. C'est sûr qu'il avait appris son texte, mais c'était senti. J'ai vu deux vieilles dames noires pleurer à côté de moi, mardi à Chicago. J'en ai eu des frissons.

R.M.: De voir Jesse Jackson, le visage baigné de larmes à la télé, c'était aussi très émouvant. J'ai été très impressionnée par la maîtrise d'Obama pendant son discours, par son sang-froid. Il n'a jamais craqué.

M.C.: Il a été imperturbable et inébranlable.

R.M.: Sans être froid.

M.C.: C'était important qu'il montre qu'il était en possession de ses moyens. Même quand il a parlé de sa grand-mère, morte la veille. On lui aurait reproché d'être émotif. J'ai vu des publicités républicaines le jour même des élections à Fox News qui tentaient de dépeindre Obama comme un radical. Du début à la fin, il m'a semblé bon joueur. Il ne s'est pas abaissé à ce genre d'attaques. Ça fait du bien de voir un politicien qui n'est pas toujours campé bêtement sur ses positions. C'est plus réaliste et crédible. Ça rend un peu moins cynique et ça humanise un peu la chose politique.

R.M.: Obama aurait pu répondre aux attaques tellement souvent. J'ai trouvé John McCain élégant lorsqu'il lui a concédé la victoire, mais pendant son discours, la foule a hué Obama. C'était incroyable. Je ne peux m'empêcher de penser à tous ces rednecks qui ne voient en lui qu'un Noir avec un nom de terroriste. Ça fait peur.

M.C.: J'ai trouvé Obama très élégant dans son ouverture à tous les Américains, même ceux qui ne pensent pas comme lui. Son intelligence tranche avec George Bush encore plus que la couleur de sa peau. Mais son ouverture peut presque être interprétée comme une main tendue aux racistes. Je salue le geste, mais à sa place, j'aurais envie de leur dire ce que je pense vraiment.

R.M.: Je me demande ce qui lui passe par la tête. Il a le poids du peuple afro-américain sur les épaules, et celui de l'Afrique au complet. J'ai un ami américain qui habite à Los Angeles, qui voyage beaucoup et qui m'a dit cette semaine que c'était la première fois depuis longtemps qu'il n'avait pas honte d'être américain.

M.C.: Les Américains ont choisi Obama pour les gouverner. Mais c'est aussi un message clair de désaveu des années Bush qu'ils lancent à la planète. Le symbole que représente Obama change complètement la dynamique géopolitique.

R.M.: En même temps, comme l'a dit Obama, les choses ne changeront pas du jour au lendemain.

M.C.: Il ne faudrait pas croire qu'il est plus progressiste qu'il ne l'est réellement. C'est vraiment un centriste.

R.M.: Gregory Charles a reçu des menaces de mort, ici au Québec, pour avoir manifesté son appui à Obama. Ça m'a vraiment dérangée.

M.C.: Ça t'étonne?

R.M.: Je suis très consciente qu'il y a du racisme, mais on parle de menaces de mort. Pour moi, c'est vraiment une douche froide.

M.C.: J'ai écrit récemment une chronique sur Pierre Falardeau qui m'a valu quantité de courriels, dont quelques lettres assez menaçantes. Les gens peuvent être très heavy.

R.M.: Tu t'es attaqué à un personnage très aimé par une certaine partie de la population québécoise. Obama, c'est à côté, mais c'est ailleurs. Gregory Charles a écrit une lettre que j'ai trouvée très émouvante dans La Presse et il reçu des menaces de mort... Imagine Obama. J'ai peur pour lui.