Il fut un temps où Vincent Graton semblait être sur toutes les tribunes, à la fois comme comédien et comme porte-parole de mille et une causes. Et puis un jour, il a eu besoin de se taire et de se retirer sur ses terres. Quatre ans plus tard, il émerge de sa retraite avec une nouvelle émission culturelle La culture pour les nuls et la ferme intention de faire la vie dure au gouvernement Harper. Portrait d'un acteur en guerre. 

 

Il y a deux Vincent Graton. Le premier n'a qu'à apparaître à la télé avec ses yeux bleus, son sourire parfaitement blanc et ses airs d'éternel jeune premier pour faire craquer ces dames. À ce Vincent-là, les directeurs de casting semblent toujours donner des rôles de bon gars, de père cool et compréhensif, d'homme rose, de célibataire sensible, de gai séduisant.

Et il y a l'autre Vincent Graton, le syndicaliste, le militant, porte-parole de tous les démunis de la terre, grand ami d'Amir Khadir avec qui il est allé à l'école, toujours prêt à épouser un nouveau combat, toujours à un mégaphone d'un coup de gueule, un batailleur dans l'âme qui n'a pas peur du conflit ni de la confrontation. Ce Vincent Graton-là peut parfois être un adversaire redoutable, mais il peut aussi faire des choses complètement folles comme entrer dans un bureau et maculer son occupant de sauge dans un geste de purification rituelle. C'est d'ailleurs ce que Vincent Graton faisait dans une scène de Tout sur moi la saison dernière: une scène inspirée directement de sa vie.

"C'est vrai, concède l'acteur de 49 ans, j'ai déjà fait ça à un gars. Je ne dirai pas qui. Seulement que ce rituel purificateur m'a évité de lui casser la gueule. Quand je raconte cette histoire, les gens ne me croient pas. Ça me fait toujours rire de voir à quel point les gens n'ont aucune idée de qui je suis vraiment. C'est en partie ma faute dans la mesure où, jusqu'à 40 ans, j'ai moi-même entretenu cette image de bon gars, mais je crois bien que cette époque est finie."

Le pour et le contre

Nous sommes la veille de la première diffusion de l'émission La culture pour les nuls que Graton anime sur ARTV tous les mercredis soir à 19h cet automne. L'émission imaginée par Pierre Beaudry en est une de débats contradictoires et de plaidoiries pour et contre une forme d'art en vedette chaque semaine. Les 13 premiers épisodes ont été enregistrés au printemps dernier et ont fait défiler aussi bien des humoristes en vue que des comédiens connus ayant envie de jouer aux plaideurs et de prêcher pour la culture, mais pas nécessairement pour leur paroisse.

Ainsi, dans une émission, le comédien Louis Champagne plaide contre la musique country qu'il adore alors que son camarade Didier Lucien, qui déteste le country, en devient son ardent défenseur. Idem pour Pascale Montpetit qui, dans l'émission sur le théâtre classique, charge à fond de train contre une forme d'art dont elle ne peut se passer dans la vie.

"C'est en lisant les plaidoiries écrites par Pierre-Michel Tremblay que j'ai eu envie d'animer cette émission. Parce que les arguments sont valables d'un côté comme de l'autre, que les choses sont dites sans cynisme et que le côté bon enfant de l'émission calme mon côté revendicateur et m'apprend à dire les choses autrement qu'en gueulant", affirme Vincent Graton dans le café de l'avenue Laurier où il m'a donné rendez-vous.

Anti-Harper

Pourtant, à peine 10 minutes plus tard, le côté revendicateur de Vincent Graton s'embrase et accouche d'un coup de gueule inattendu. J'ai eu le malheur de lui demander ce qu'il pensait de l'état actuel de la culture. De toute évidence, il n'attendait que ça pour ouvrir les valves de son indignation et pour régler ses comptes avec le gouvernement Harper qu'il déteste activement.

"Avec ce qui se passe en ce moment, les coupes pour les tournées des artistes à l'étranger, la censure du projet de loi C-10, mon milieu doit absolument se mobiliser pour mettre à mort le gouvernement Harper. Faut les débarquer et ça presse. Je ne comprends toujours pas comment une deux de pique comme Josée Verner a pu être nommée au Patrimoine. Quand c'est rendu que le milieu rêve de voir Kid Coderre à sa place, c'est qu'on a un maudit problème."

Vincent Graton a déjà fait part de ses doléances au conseil d'administration de l'UDA où il a longtemps siégé.

"La consigne, c'est qu'on laisse passer les Olympiques et après ça, on fesse dans le tas. Je crois sincèrement qu'il y a des adversaires qu'on doit achever politiquement. Je ne parle pas de guns, là. Je parle de résistance active comme le fait Yann Martel quand il envoie un livre aux deux semaines à Harper. Je parle de faire tomber un premier ministre qui n'est pas un imbécile, au contraire. Cet homme-là, je le prends tellement au sérieux que je veux avec mon milieu mobiliser toutes ses énergies pour le débarquer."

Résistance active

Croit-il vraiment que le milieu des arts peut faire une différence et régler à lui seul l'issue des prochaines élections?

"Ce que je crois, c'est qu'on a du pouvoir, celui d'exercer une pression en prenant la parole pour dénoncer les choses et celui d'influencer l'opinion publique. Pendant longtemps, on a été caves, nous les artistes, surtout avec le PQ qui nous tenait pour acquis. À l'époque, même si j'étais un souverainiste convaincu, j'ai été un des premiers à dire: s'il faut marchander notre appui à la souveraineté, marchandons-le. Arrêtons d'être des ti-counes et assumons nos convictions comme des adultes."

Le souverainiste convaincu d'autrefois est aujourd'hui un souverainiste qui se pose des questions. Farouchement anti-Harper, mais pas au point d'embrasser la candidature de Stéphane Dion, ne comprenant plus très bien le rôle du Bloc québécois à Ottawa, Graton, comme bon nombre de gens de sa génération, sent qu'au plan politique, il nage dans la purée de pois.

"Disons qu'on est à un moment assez bizarre politiquement. Personnellement, je constate qu'on a perdu le combat pour la souveraineté deux fois et je me demande si je dois oui ou non continuer à me battre. En même temps, quand je vois ce qui se passe à Ottawa où la culture, qui est au centre même de notre identité, ne compte pour rien, c'est sûr que j'ai envie de repartir en croisade."

Cette année, pour la septième saison consécutive, Graton reprend son rôle de Marc Trudeau, l'aubergiste de L'auberge du chien noir au sein d'une équipe qu'il retrouve toujours avec plaisir. N'en demeure pas moins qu'à l'approche de ses 50 ans (le 5 mai 2009), ce père de quatre enfants, marié à l'animatrice France Beaudoin, a retrouvé le goût du risque. Il a envie de revenir au théâtre de création de sa jeunesse. Envie d'aller retrouver Alexis Martin et Marc Béland, ses vieux camarades de l'époque du Nouveau Théâtre Expérimental, quand Robert Gravel et Jean-Pierre Ronfard étaient encore de ce monde et que le théâtre québécois était en pleine effervescence. Envie enfin de ranger son côté bon gars et de sortir son guerrier du placard. Que Stephen Harper se le tienne pour dit. Vincent Graton est revenu au combat et il n'entend pas donner la moindre chance aux conservateurs.