Depuis le début de la controverse autour de SLĀV, à la fin de juin, peu d'artistes québécois ont appuyé publiquement Robert Lepage. Dans son entrevue au micro de Stéphan Bureau, samedi dernier, Robert Lepage a même affirmé avoir « perdu beaucoup d'amis dans tout ça ». Comme si ses « amis » avaient été clairsemés par le vent estival, comme dans le poème de Rutebeuf, Que sont mes amis devenus. La Presse en a joint quelques-uns.

Quarante-huit heures après l'entrevue de Robert Lepage à la radio d'Ici Première, le milieu théâtral se fait encore discret dans les médias. « C'est délicat, parce que soutenir l'un, c'est interprété comme ne pas soutenir l'autre, a expliqué Marie-Hélène Falcon en entrevue hier avec La Presse. Alors que les deux parties méritent d'être soutenues. »

Reste que l'« affaire Lepage » est dans l'actualité depuis un mois, et qu'à l'ère 2.0, le silence est souvent interprété comme de l'indifférence, voire un désaveu.

Sous le couvert de l'anonymat, une dizaine de créateurs ont refusé nos demandes d'entrevue : « On est sous le choc, on attend que la poussière retombe un peu ; cette situation est infiniment complexe, elle demande beaucoup de nuances ; on parlera une fois le calme revenu », etc.

À la défense de la liberté d'expression

Après réflexion, la cofondatrice et ex-directrice du Festival TransAmériques (FTA) a donc rappelé La Presse hier. Marie-Hélène Falcon juge essentiel, « fondamental », de défendre la liberté d'expression et de création de Robert Lepage et d'Ariane Mnouchkine. Toutefois, elle ne veut pas faire fi des revendications des autochtones ni de celles des autres communautés culturelles. « On ne doit pas opposer les uns aux autres. Ce débat doit plutôt nous permettre d'avoir une connaissance réciproque des uns et des autres. C'est un sujet trop important. Je crois que partout, les artistes sont en train d'y réfléchir. Ça fait son chemin. »

Selon Mme Falcon, il ne faut pas « acheter la paix » non plus (en ajoutant rapidement des comédiens noirs ou autochtones dans les productions, par exemple). 

« Acheter la paix ne réglera rien. Ça prend une évolution des mentalités. Or, je crois que le théâtre est très sensible aux questions des autochtones et des minorités. Ce qu'on vit cet été va nous sensibiliser davantage. J'en suis convaincue. »

Le metteur en scène René Richard Cyr a assisté à la première de SLĀV au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), en juin dernier. Il dit avoir été éveillé par le spectacle, mais aussi par les protestations des militants dans la rue. Il a lui aussi hésité avant de parler à La Presse. « Pas parce que j'ai la chienne, mais parce qu'on voit une telle avalanche d'opinions et de commentaires à l'emporte-pièce ; je ne veux pas jeter de l'huile sur le feu », nuance-t-il.

« Actuellement, on parle du qui, du quand, du comment, du pourquoi, mais on ne parle pas du quoi, ajoute Cyr. C'est quoi l'objet artistique et le message véhiculés avec ces productions ? Ça aborde la douleur, l'humanité souffrante. Et comme créateur, on a le droit de parler de tout ce qui est humain. »

«Assumer l'appropriation culturelle», selon Michel Rivard 

Samedi dernier, Michel Rivard a publié un message sur Facebook - en guise de « matière à réflexion » autour de la controverse entourant Kanata. Il raconte qu'après avoir vu un documentaire du cinéaste autochtone Paul Rivet sur l'aventure de trois sans-abri amérindiens à la dérive dans les rues de Montréal, bouleversé, il a écrit la chanson Dans le bois.

« J'y donne poétiquement la parole à Raymond, un des protagonistes du film, explique l'auteur-compositeur-interprète. Je ne suis ni autochtone, ni itinérant, ni toxicomane. Je n'ai consulté personne avant d'écrire la chanson. J'ai enregistré la chanson avec mes amis musiciens, non-autochtones. J'assume totalement "l'appropriation culturelle" que représente mon geste créatif », conclut Rivard.

«Tous debout» 

Dimanche dernier, le producteur Stéphane Mongeau a lancé un cri du coeur sur Facebook. Ce dernier a collaboré avec Lepage sur , sa création pour le Cirque du Soleil à Las Vegas. « Il est temps de se lever tous debout pour supporter Robert Lepage, écrit Mongeau. Depuis le début de sa carrière, Robert a rendu hommage à différentes personnes venant d'horizons divers. Son propos a toujours été inclusif et respectueux. Pourquoi le cibler aujourd'hui ? S'il y a malaise, ce n'est certainement pas la responsabilité d'un homme de théâtre ! »

« Le métissage, c'est l'avenir ! Robert a toujours été tourné vers l'avenir, soutenons-le haut et fort, car ce qu'il défend avant tout, c'est le droit à la liberté d'expression qui concerne toute la communauté artistique », affirme le réalisateur Martin Villeneuve, en réponse à Stéphane Mongeau.

En entrevue, M. Mongeau nous a dit qu'il a voulu défendre un créateur et ami qu'il admire : « Je suis désolé de voir si peu de gens le défendre et défendre le droit aux artistes de poser des questions et même d'interpréter l'histoire. Robert est authentique et je sais qu'il n'a jamais voulu s'approprier ni une culture ni une situation. »

Plaies ouvertes

Au micro de la radio d'Ici Première, le créateur de La trilogie des dragons a dit que le cas de Kanata était particulier. « Les plaies sont béantes chez les autochtones. La douleur aussi. Ce qu'il faut comprendre, c'est que [les autochtones], on leur a tout pris. On leur a tout volé. Alors, c'est sûr que je comprends absolument que ces gens-là soient méfiants », a confié Lepage.

Or, la méfiance semble partagée de part et d'autre, dans ce débat qui ne s'éteindra pas de sitôt. « Dommage que cela tombe sur le dos de Lepage, déplore le cinéaste Martin Villeneuve. On le prend comme bouc émissaire. Mais il faut parfois du chaos et des crises pour faire avancer les mentalités et émerger de la lumière. »

Photo David Boily, Archives La Presse

L'homme de théâtre Robert Lepage