La distribution de la pièce Kanata demeurera inchangée, mais le dialogue établi jeudi soir entre des artistes autochtones, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage pourrait éventuellement déboucher sur de réelles collaborations artistiques.

En entrevue à La Presse canadienne, le directeur du festival Présence autochtone, André Dudemaine, qui a participé à la rencontre, estime qu'un réel rapprochement s'est opéré et que le désir de poursuivre la conversation est bien présent.

Il ajoute toutefois que, malgré les doléances exprimées par les leaders autochtones, les deux créateurs à l'origine de Kanata n'apporteront aucun changement à la pièce, qui prendra l'affiche au Théâtre du Soleil, à Paris, à l'automne, dans sa forme actuelle.

Dans la foulée de la publication d'une lettre ouverte dans Le Devoir dénonçant l'absence de comédiens autochtones dans Kanata, le metteur en scène Robert Lepage et la femme de théâtre française Ariane Mnouchkine avaient invité les signataires à une rencontre de dialogue.

Pendant plus de cinq heures jeudi soir, dans les locaux de la Société des arts technologiques à Montréal, une quarantaine de personnes ont pu faire valoir leurs points de vue avec en toile de fond, la controverse entourant le spectacle SLAV, qui a fait rejaillir dans l'espace public la question de l'appropriation culturelle.

Selon M. Dudemaine, le ton de la rencontre a, en tout moment, été respectueux et laisse croire que Mme Mnouchkine et M. Lepage ont entendu les réticences formulées à l'égard de leur démarche artistique.

«Les échanges ont été parfois vifs, parfois émotifs, mais il y a vraiment eu un dialogue qui s'est installé», a rapporté André Dudemaine, insistant pour mentionner qu'il s'agit de sa vision personnelle et non d'un point de vue partagé par l'ensemble des représentants autochtones présents.

«On se parlait d'une rive à l'autre, mais à la fin, on dirait que la rivière s'était un peu rétrécie et qu'on s'entendait un peu mieux, illustre-t-il. Tous les désaccords n'ont pas été réglés, ce n'est pas là qu'on en est, mais le dialogue est établi et tout le monde veut le poursuivre.»

Une véritable main tendue?

Certains participants à la rencontre espéraient pouvoir convaincre les créateurs de la pièce - qui se veut une relecture de l'histoire du Canada «à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones» - d'inclure des comédiens autochtones dans la distribution.

M. Dudemaine mentionne toutefois qu'il a été clairement expliqué que la pièce est rendue à la phase finale de sa création et que les acteurs de la troupe permanente du Théâtre du Soleil assumeront tous les rôles.

S'agissait-il alors d'une véritable main tendue ou plutôt d'une simple opération de relations publiques afin d'éviter un autre dérapage à la SLAV? «Je crois qu'il y avait un peu de l'un et de l'autre», estime André Dudemaine.

«Évidemment, ils ont le souci que leur spectacle puisse être présenté sans encombres», pointe-t-il, disant néanmoins croire en la sincérité de la démarche d'Ariane Mnouchkine et de Robert Lepage.

La principale conclusion de la rencontre semble avoir été la nécessité de poursuivre le dialogue pour que puissent éventuellement naître de véritables collaborations «exemplaires» entre la compagnie Ex-Machina et le Théâtre du Soleil et des créateurs autochtones.

«Bien qu'on pense que Kanata soit un rendez-vous manqué, on ne veut pas rester au chapitre du ressentiment, on veut plutôt regarder vers l'avenir pour que le débat actuel serve», souligne M. Dudemaine.

Il espère que cette confrontation des points de vue aura non seulement permis de mieux faire comprendre le sentiment d'exclusion qui accompagne le phénomène d'appropriation culturelle, mais qu'elle éveillera aussi M. Lepage et Mme Mnouchkine à la vitalité des forces créatrices autochtones.

«Qu'ils voient toute la richesse, les collaborations fructueuses, tout ce que peuvent amener à leurs oeuvres les artistes des Premières Nations qui, maintenant, sont présents partout, dans toutes les sphères d'activités artistiques», clame M. Dudemaine.

Parler à un mur

Nakuset, la directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, rapporte une vision bien différente de la rencontre de jeudi soir.

«Pour moi, c'était comme parler à un mur», laisse-t-elle tomber, en entrevue à La Presse canadienne.

Nakuset espérait que Robert Lepage et Ariane Mnouchkine comprennent la nécessité d'embaucher au moins un comédien ou un musicien autochtone. Elle déplore qu'aucune mesure concrète n'ait été adoptée après cinq heures de discussions.

«Ils nous ont dit que la porte est ouverte pour poursuivre la discussion, mais il n'y a aucune action.»

La compagnie Ex-Machina de Robert Lepage a publié, vendredi, un bref communiqué sur sa page Facebook.

On peut notamment y lire que «bien que les inquiétudes n'aient pas toutes été levées, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage pensent pouvoir espérer qu'un grand pas a été fait vers une compréhension réciproque. Ils expriment ici leur gratitude d'avoir été écoutés avec attention et bienveillance.»

Robert Lepage n'a pas répondu à la demande d'entrevue de La Presse canadienne. Quant à Ariane Mnouchkine, elle se trouvait vendredi à bord d'un vol à destination de Paris.