Interprète virtuose, aussi à l'aise chez Molière que chez Beckett ou Pinter, dernier des pionniers du «Nouveau Monde», Gabriel Gascon est mort hier matin à l'âge de 91 ans. Il était malade depuis quelque temps et avait, à regret, cessé de jouer depuis six ans.

«Il avait le théâtre dans la peau, illustre le metteur en scène Denis Marleau. C'était un homme de troupe, avec une grande qualité de présence et d'écoute. J'ai beaucoup appris en travaillant avec lui. Comme acteur, Gabriel ne cherchait pas à épater la galerie, il cherchait toujours la vérité.»

Avec sa disparition, il ne reste que Monique Miller comme témoin de la naissance du Théâtre du Nouveau Monde. «C'est une grande perte pour nous, car on a l'impression de perdre un fondateur», affirme Lorraine Pintal, directrice du TNM.

Acteur charismatique et chevronné, séduisant sur scène comme dans la vie, Gabriel Gascon a fait partie de la distribution de la pièce inaugurale de la compagnie de répertoire, L'avare, en 1951. Le jeune premier y a incarné Cléante, aux côtés des Jean Gascon, Jean-Louis Roux, Janine Sutto et Denise Pelletier. Le comédien donnait la réplique à Monique Miller, qui avait 17 ans à l'époque.

«L'histoire le relie au TNM. Même s'il n'est pas officiellement l'un des fondateurs, il reste qu'il était le frère de Jean, une famille (de 14 enfants) très impliquée dans le théâtre à Montréal. Jean faisait beaucoup travailler Gabriel, qui a établi une relation de sympathie naturelle avec le public d'ici.»

Monique Miller se souvient avec tendresse de son compagnon dans L'avare.

«Il y avait une part de mystère en lui. Il était davantage dans l'écoute que dans les confidences. C'est peut-être ce qui a fait de lui un bon interprète.»

Comédien élégant, à la voix profonde et grave, Gabriel Gascon était à la fois fantasque, léger, séducteur, mais aussi intense, défricheur et complexe. «Il adorait ses [sept] enfants qu'il avait eus de trois femmes différentes. Car c'était un homme qui adorait les femmes, comme tous les garçons Gascon», dit la comédienne Nathalie Gascon. Elle se souvient du «grand plaisir» qu'elle a eu à jouer avec son oncle sous la direction de Jean-Pierre Ronfard à l'Espace GO.

Douce France

Au début de sa carrière, le succès de son aîné, Jean, lui a toutefois fait de l'ombre. Ce qui explique ses deux exils en France - la première fois pour 2 ans et la seconde, pour 15 -, dans l'espoir de se faire un nom à Paris. Il se joindra à la troupe du Théâtre national populaire de Jean Vilar et jouera des classiques pour de grands metteurs en scène. Il a d'ailleurs laissé son accent québécois sur les rives de la Seine... «Il n'a jamais été capable de le retrouver ensuite, note Nathalie Gascon, tout comme mon père.»

Hors du théâtre, Gabriel Gascon a joué au cinéma et à la télévision. Il a prêté ses beaux traits au personnage d'Alexis dans Les belles histoires des pays d'en haut. Guy Provost l'a remplacé dans ce rôle au bout de neuf saisons.

Gabriel Gascon s'animait d'une façon différente en parlant de théâtre. «Il avait toutes sortes de souvenirs qui le ramenaient au théâtre », confiait la réalisatrice Sylvie Groulx à La Presse à la sortie de son documentaire La passion selon Gabriel, sur la vie professionnelle et personnelle de l'acteur qui était aussi son oncle. « Dans la vie, Gabriel était toujours entre le réel et l'illusion. Il semblait flotter dans l'espace. On avait toujours l'impression qu'il était dans son imaginaire.»

La rencontre avec Marleau

Le comédien a connu une relation marquante avec le metteur en scène et directeur du Théâtre UBU, Denis Marleau. Son travail avec l'homme de théâtre, de 30 ans son cadet, a été important.

On peut parler ici d'admiration mutuelle portée par une belle complicité artistique. Et une vision du théâtre pour laquelle le texte - de Beckett à Bernhard en passant par Maeterlinck - est à la source du spectacle.

«Son travail avec Marleau est un moment charnière dans sa vie. C'est comme si Gabriel était devenu un très bon vin qui a vieilli de manière majestueuse», explique Lorraine Pintal.

Les deux hommes se tenaient en haute estime et ont connu le succès à Montréal, au Québec et en Europe avec des pièces comme Maîtres anciens et Nathan le Sage, présenté dans la Cour d'honneur du Palais des papes au Festival d'Avignon en 1997.

Sublime Krapp dans La dernière bande, aussi sous la direction de Marleau, Gascon y ressassait les souvenirs enregistrés du vieil homme amer de la pièce de Beckett: «Viens d'écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a 30 ans ; difficile de croire que j'ai été con à ce point-là!»

Voilà Gabriel Gascon en entier dans une seule réplique: grave et fantasque et toujours dans la vérité. 

- Avec la collaboration de Daniel Rolland et d'André Duchesne