Jeanne tombe en bas de son cheval, sa vie est suspendue, les souvenirs affluent, les pensées se bousculent. Dans La vie utile, Evelyne de la Chenelière et Marie Brassard explorent ce bref moment de conscience qui précède la mort. Evelyne de la Chenelière nous parle du processus créatif qui a mené à la mise en scène de ce spectacle à Espace Go.

Il y a quatre ans, Evelyne de la Chenelière a accepté l'invitation que lui faisait Ginette Noiseux de devenir artiste en résidence à Espace Go. Durant ces trois années, les visiteurs du théâtre du boulevard Saint-Laurent ont pu voir l'auteure écrire, créer, et même dessiner sur un grand mur dans le foyer du théâtre.

«J'ai accepté de me placer en état de déséquilibre en exposant, en écrivant, en réfléchissant devant les gens, confie-t-elle. Ce sont des actions artistiques qu'on ne voit habituellement pas. J'avais envie de dire que l'artiste existe même quand il se réfugie pour écrire, dans un temps et un espace qui sont habituellement loin de la lumière.»

Cette résidence d'artiste a été l'occasion, pour la dramaturge, de renouer avec la création pure, sans pression ni obligation. Les mots sur le mur sont devenus matière et ont inspiré d'autres artistes, invités à s'en emparer. Puis, au terme des trois années, Evelyne de la Chenelière a convié son amie Marie Brassard à imaginer avec elle une création destinée aux planches à partir de ces fragments de textes.

Le résultat : un conte hors catégorie, multiforme et déstabilisant qui ressemble à un rêve et dans lequel une jeune femme, Jeanne, face à la mort, fait l'inventaire de ce qui l'a construite.

Evelyne de la Chenelière est une artiste exigeante. Autant envers elle-même qu'envers les autres. Cette résidence est venue confirmer certaines choses dans son parcours. 

«J'étais rendue à un moment où je me questionnais beaucoup sur l'engagement, sur la liberté et sur tout ce qui nous pénètre à notre insu, nous contraint dans notre imaginaire, notre rythme, notre regard sur le monde. Je me suis dit qu'en acceptant cette résidence, j'allais me mettre en état de déséquilibre en déplaçant concrètement mon geste d'écriture et en exposant sa fabrication.»

«En fait, j'ai fait de cet état de recherche, d'errance et de vulnérabilité ma proposition artistique. J'étais à la fois plongée en moi et extrêmement poreuse à ce qui se passait à l'extérieur. C'est la tension que je recherche en tant qu'artiste.»

À travers l'histoire de Jeanne qui essaie de retrouver son essence, c'est l'artiste qui réfléchit à cet état d'avant la contamination, la pression et les exigences d'une société où le résultat est beaucoup plus important que le chemin pour s'y rendre.

Déplacer le regard

Marie Brassard a été invitée à participer au processus de création dès le tout début. «Je n'avais pas envie de lui remettre une pièce de théâtre déjà écrite, mais bien de provoquer une rencontre entre nos deux imaginaires, affirme Evelyne de la Chenelière. Pour ma part, je me suis forcée à regarder les mots sur le mur de l'extérieur avec un regard neuf et j'ai vu qu'il se dégageait des thèmes, des préoccupations, des personnages, une réflexion sur le temps. Nourrie de tout cela, j'ai pu plonger dans une nouvelle écriture dédiée au plateau et à Marie Brassard.»

La dramaturge affirme qu'elle ressort de cette expérience plus décidée que jamais à faire des choix qui lui ressemblent. «Ce que je me suis imposé durant ces trois années a profondément réaffirmé ma nécessité de créer pour créer, dit-elle. Évidemment qu'on a envie de partager quelque chose, ça se situe ailleurs. Je souhaite qu'on accepte le temps de l'incertitude, du doute, de la recherche. Sinon, on emprunte des chemins qu'on connaît déjà et on quitte le risque authentique que j'associe à la création. Mes choix sont liés à ce geste-là, et cette expérience m'a encouragée à poursuivre dans cette voie.»

La force de l'engagement

Avec La vie utile, Evelyne de la Chenelière, qui jouera son texte sur scène avec d'autres comédiens, fait un geste fort, intime. «Il y a une intimité non pas parce que je parle de moi, mais parce que j'ai plongé dans ce qui prend le plus de place en moi depuis que je suis consciente d'exister, souligne-t-elle. Alors oui, c'est extrêmement dévoilant.»

Au fond, la dramaturge nous parle d'engagement. «Les oeuvres qu'on dit engagées le sont souvent d'une manière très claire, très frontale. On parle d'un sujet d'actualité, d'un enjeu clairement identifiable auquel l'oeuvre va répondre. On a besoin de cet art aussi, mais ça ne correspond pas à ma façon de répondre au monde. Est-ce que ça fait de moi une auteure qui est moins engagée? Je ne crois pas.»

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À Espace Go du 24 avril au 1er juin; les représentations du 28 mai au 1er juin se tiennent dans le cadre du festival TransAmériques.