Alexia Bürger s'est inspirée de la tragédie de Lac-Mégantic pour écrire la pièce Les Hardings, qui sera présentée au Théâtre d'Aujourd'hui dès ce soir. Une oeuvre qui parle de responsabilité individuelle et collective, à mi-chemin entre le théâtre documentaire et la fiction. Et qui risque de remuer bien des émotions.

C'est en voyant aux nouvelles Thomas Harding, le conducteur du train qui a détruit le centre-ville de Lac-Mégantic il y a cinq ans, arrêté et menotté qu'Alexia Bürger est devenue obsédée par ce sujet. «Je me disais que c'était impossible qu'un homme porte à lui seul toute la responsabilité de ce qui est arrivé cette nuit-là.»

Après avoir beaucoup lu sur les événements - et suivi le procès qui vient à peine de se terminer -, ce qui relevait de l'instinct est devenu une conviction pour elle: le conducteur était le dernier maillon d'une chaîne de négligence tolérée par tout le monde, tant par la compagnie ferroviaire que par le gouvernement et par nous, les citoyens.

«Thomas Harding n'est pas plus responsable que moi dans ce qui s'est passé à Mégantic. Je sais, c'est énorme, mais c'est comme ça que je le perçois. Pour vrai.»

La dramaturge n'a jamais pu se défaire de ce sentiment d'injustice envers cet homme ordinaire - «Dans le sens noble du terme» - qui a toujours assumé sa part de responsabilité dans le drame. «Il n'a jamais agi en victime. Il n'a jamais nié qu'il n'avait pas mis assez de freins ce soir-là.»

Elle constate que cette impression a finalement été partagée par le jury qui a acquitté Harding en janvier dernier. «J'ai été très inspirée par le juge et les jurés. Ils sont sortis de l'impasse quand le juge leur a dit: "Il faut que vous soyez sûrs que la personne responsable que vous êtes aurait fait autre chose à sa place." C'est là qu'ils ont dit "non coupable", et c'est là que ça rejoint le fond de la pièce. Est-ce que moi, j'aurais fait autre chose à sa place? Je ne suis pas capable de dire oui.»

Les Hardings n'est pas une pièce sur la tragédie de Mégantic, tient à préciser l'auteure et metteure en scène. C'est plutôt une pièce sur le partage des responsabilités, sur la valeur de la vie humaine dans une société capitaliste, sur les traumatismes et la culpabilité face à nos propres morts.

«Comment peut-on, en faisant davantage de liens, se porter un peu plus les uns et les autres? demande-t-elle. C'est un combat de chaque jour de me dire que mes actes ont un impact sur la vie des autres.»

Trois Harding

Il y aura trois «vrais» Thomas Harding - puisque ce nom est assez commun - sur la scène du Théâtre d'Aujourd'hui: le conducteur de train (Bruno Marcil), un auteur britannique (Patrice Dubois) et un assureur américain (Martin Drainville). C'est leur rencontre hypothétique, leurs dialogues, leurs affrontements, les questions qu'ils se posent qui font avancer la réflexion.

«C'est pour ça que c'est de la fiction et non du théâtre documentaire, même si le spectacle tire sa sève de vrais événements, explique Alexia Bürger. On est loin de J'aime Hydro ou d'une démarche à la Annabel Soutar, que j'adore.»

Elle s'est bien sûr demandé si elle avait le droit d'en parler. Et puis, n'est-il pas trop tôt pour s'attaquer à un sujet qui suscite encore autant d'émotions?

«Le théâtre reste pour moi un art vivant qui peut, collectivement, être une catharsis. Et si on ne peut pas aller là dans le vivant, quand peut-on y aller? Il y a quelque chose d'un safe space dans un théâtre; c'est un moment de rencontre, de partage.»

Les premiers enchaînements de la pièce, il y a deux semaines, ont donné lieu à des moments très émotifs. «Des gens pleuraient.» La scène où le personnage du conducteur nomme les 47 victimes a été particulièrement difficile à interpréter pour le comédien qui la joue, Bruno Marcil.

«C'est lourd à porter pour lui. Au début, je ne pensais pas aller là. Mais on avait l'impression que de ne pas en parler pour respecter leur deuil, ça revenait à les transformer en dommages collatéraux. Alors qu'ils nous ont hantés tout le long.»

Sur la corde raide

À la fois auteure et metteure en scène, Alexia Bürger a été sur une corde très raide pendant cette création, puisqu'elle a commencé à écrire avant même que le procès de Thomas Harding soit terminé.

«Ce n'est pas la manière habituelle de fonctionner, c'est vrai. Mais ce que j'ai aimé en écrivant jusqu'à très récemment, c'est que mon dialogue avec les acteurs, avec la salle de répétition, existe dans la pièce. La forme et le fond se répondent. C'est un peu comme du bungee, mais c'est du théâtre que j'aime.»

Alexia Bürger ne sait pas du tout comment sa pièce sera reçue. «J'espère de tout coeur que personne n'y percevra de l'indélicatesse. Que les gens verront à quel point je l'ai fait avec respect, habitée par leur histoire. J'espère que les histoires de ces trois gars vont éclairer l'existence des gens comme elles ont éclairé la mienne, qu'il y aura transfuge et dialogue pour ne pas que la roue tourne sans fin.»

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Au Théâtre d'Aujourd'hui, du 10 avril au 5 mai.

Femme de théâtre

Alexia Bürger fait de l'assistance à la mise en scène depuis une dizaine d'années. Celle qui a toujours été une «fille de collaboration» assure seule la direction d'un projet pour la première fois. Et elle en a plusieurs autres en marche. «J'ai 41 ans. Il était temps, hein? En vieillissant, je trouve la force d'aller dans des positions inoccupées par des femmes, mais à ma manière... Je n'ai pas beaucoup cogné aux portes dans ma vie, mais je sens que parce que les filles mènent un combat, le milieu est ouvert. Quand je vois le nombre de femmes qui font de la mise en scène, ça me donne encore plus le goût d'en faire. Je me dis: "Il faut qu'on entende notre voix."»