Philippe Ducros a visité et étudié les Premières Nations au cours des dernières années afin de nous livrer sa Cartomancie du territoire. Une pièce qui essaie de comprendre le pourquoi et le comment de nos relations complexes avec les autochtones.

Philippe Ducros n'est pas devin. Sa cartomancie n'a aucun rapport avec le tarot ou la bonne aventure. Avec lucidité et humilité, il a plutôt essayé de comprendre les Premières Nations au cours des trois dernières années.

«La pensée occidentale, qui a dominé la Terre dans les trois derniers siècles avec l'impérialisme, le colonialisme, l'industrialisation et le capitalisme, est en train de nous amener dans le mur. On peut apprendre des Premières Nations d'autres manières de voir le monde. Ce n'est pas de savoir seulement ce qui leur est arrivé, mais comment on peut réfléchir le monde différemment.»

Philippe Ducros est donc allé à leur rencontre sur la Côte-Nord, au Lac-Saint-Jean et en Gaspésie, entre autres, en 2015 et cette année pour y prendre des images.

«La pièce est un voyage double. Je me demande ce qui est arrivé dans nos relations avec les Premières Nations, mais il y a un voyage introspectif de ma part. Je trouvais important de me mettre à nu.»

«Chez eux, la guérison passe par le territoire et la langue, ce qui devient un personnage de la pièce.»

Lors de ses rencontres, l'artiste n'a reculé devant aucun sujet prêtant à controverse, que ce soit les pensionnats ou les femmes disparues ou assassinées.

Prisons

L'auteur-metteur en scène-acteur (il partage la scène avec Marco Collin et Kathia Rock) cite des chiffres troublants sur les Premières Nations. Par exemple, 25 % de la population carcérale est autochtone au Canada chez les hommes et 33 % chez les femmes. «Dans Unité 9, une femme sur trois devrait être autochtone», soumet-il.

Pour ses spectacles précédents, Philippe Ducros avait voyagé au Congo et en Palestine pour constater les effets de l'industrialisation. Il estime que les artistes posent des questions et, parfois, obtiennent des réponses.

«Depuis deux ans, les choses ont changé. Plusieurs événements à Montréal lancent leurs activités en disant qu'elles se déroulent sur un territoire autochtone non cédé. Il y a un pin blanc sur le drapeau de la ville, mais ça reste assez cosmétique. Deux cents communautés autochtones sur 633 ont des problèmes d'eau potable. On a un tiers-monde sur notre territoire et il faut le reconnaître.»

«Il y a encore au Québec un racisme insidieux dans la population, un racisme étatique, institutionnel.»

Le créateur décrit un «génocide culturel» qui se poursuit. Il croit qu'on a longtemps inculqué aux autochtones la détestation de leurs propres langue et culture. La première chose à faire, selon lui, est d'arrêter de décider à leur place, comme le fait l'archaïque Loi sur les Indiens.

«Il faut aller les voir et leur demander ce qu'ils veulent. On pourrait commencer par s'assurer d'enseigner leur langue à l'école. On devrait avoir un cours qui parle de leur histoire et de leurs réalités. Il faut arrêter de les paternaliser et de penser qu'ils ne sont pas capables [de se prendre en mains]. C'est la même chose qui se passe entre les Israéliens et les Palestiniens. C'est une nouvelle étape du colonialisme.»

Autorités

En tant qu'artiste, il dit ne pas comprendre que les autorités ne semblent pas plus préoccupées par ces dossiers.

«Les grandes choses commencent petitement. Mais il faut le faire en montrant une réelle bonne foi. On n'y est pas encore arrivés quand on voit ce qui se passe avec les policiers de Val-d'Or ou les autochtones en prison.»

Il convient que des siècles de colonisation ne peuvent être effacés du jour au lendemain. Comme artiste, il sait qu'il marche sur une fine ligne entre la victimisation et l'appropriation culturelle.

«J'essaie, au moins. Peut-être que je vais commettre des maladresses - je m'en excuse -, mais il ne faut pas s'y arrêter. Je crois au dialogue. C'est important. Je contribue à ma manière. J'ai appris beaucoup dans ce voyage. J'y ai trouvé du réconfort, du sens et de la guérison. C'est très présent dans la pièce. Les concepts autochtones sont en train de changer ma manière de penser le monde. Ça me fait du bien.»

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À Espace libre, jusqu'au 7 avril. Le texte de la pièce est déjà publié par la maison Atelier 10.