En plongeant « corps et âme » dans l'adaptation de La détresse et l'enchantement, Marie-Thérèse Fortin offre une grande performance d'actrice, voire un marathon théâtral qui lui vaudra probablement des médailles au passage !

La comédienne réussit son pari de nous faire réentendre et apprécier la parole importante, unique et limpide de l'auteure de Bonheur d'occasion. Malheureusement, la production à l'affiche du TNM cherche encore sa théâtralité et s'embourbe parfois dans les maladresses de sa mise en scène.

Figure incontournable de la littérature canadienne-française, Gabrielle Roy a traversé le XXe siècle à la recherche d'un sens au « long malentendu de la vie ». La richesse de son autobiographie, parue en 1984 - un an après la mort de Roy -, s'explique en ce que le destin de la femme épouse celui d'un peuple ; « une espèce destinée à être traitée en inférieure dans son propre pays ».

L'une des grandes qualités du spectacle, c'est de nous faire prendre conscience du long chemin parcouru par les minorités francophones et les femmes, depuis un siècle !

SUR LA ROUTE

Seule sur scène, Fortin multiplie les rôles et incarne plusieurs facettes des mémoires de la romancière. Elle nous transporte de Winnipeg au nord du Manitoba, de Port-Daniel à Paris, de voyages en exils. Fortin joue tour à tour l'écrivaine et sa mère, une amie anglaise et une logeuse à Paris. Dans l'une des scènes les plus savoureuses du spectacle, la jeune Gabrielle se retrouve dans un cours de théâtre donné par Charles Dullin au Théâtre de l'Atelier. Avec presque rien, la comédienne joue le grand metteur en scène français avec humour et brio. 

Le périple parisien et sa passion amoureuse avec Stephen, à Londres, forment les meilleurs moments du spectacle. D'ailleurs, le montage réalisé par Fortin et le metteur en scène rend bien justice à la puissance et à la beauté de l'oeuvre.

CHEMINS DE TRAVERSE

Si la pièce nous fait voyager dans l'espace-temps du livre, il y a quelque chose qui cloche dans la mise en scène d'Olivier Kemeid. Il y a trop de dialogues, trop de changements, trop d'ambiances et de déplacements dans le gigantesque décor organique de Véronique Bertrand (la scénographie, bercée par les magnifiques lumières d'Etienne Boucher, rappelle « les incommensurables espaces » de terre et de roches des Prairies ou de la Gaspésie, où la romancière a vécu).

À croire que le metteur en scène a eu peur de trop coller au texte, ajoutant d'inutiles couches théâtrales à un objet littéraire qui frise la perfection.

Malgré ce bémol, il faut se rendre au TNM voir l'une des plus grandes actrices québécoises s'abandonner pour recréer l'oeuvre et la vie d'une artiste exceptionnelle.

Seule, fragile, généreuse, Marie-Thérèse Fortin est capable d'interpréter les chansons de la mystérieuse Barbara autant que les débordements de l'ineffable Germaine Lauzon. Elle n'est pas seulement une grande actrice sur scène : elle est une créatrice de grâce et de beauté.

***

La détresse et l'enchantement

Texte : Gabrielle Roy

Mise en scène : Olivier Kemeid

AVEC MARIE-THÉRÈSE FORTIN

Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 10 mars ; au Trident, à Québec, l'automne prochain

*** ½ (Trois étoiles et demie)

Photo Yves Renaud, fournie par le Théâtre du Nouveau Monde

Marie-Thérèse Fortin dans La détresse et l'enchantement

Photo Yves Renaud, fournie par le Théâtre du Nouveau Monde

Marie-Thérèse Fortin dans La détresse et l'enchantement