C'est à une messe que nous convie le dramaturge et metteur en scène Olivier Choinière avec Jean dit. Une messe noire mâtinée de musique death metal. Une célébration théâtrale pour remettre en question la voie, la vérité et la vie que tous cherchent, mais dont tous devraient, aussi, savoir se méfier.

Après Manifeste d'une jeune fille, Jean dit s'attaque à la Vérité avec un grand V.

C'est un show sur notre soif de vérité dans une culture de mise en scène, du spectacle, de la réalité qui est une fiction, une culture du mensonge où l'on doute de tout - si l'on pense aux sites conspirationnistes, à notre cynisme face au politique et aux institutions. On assiste à un effondrement de ces repères et de ces références. La pièce témoigne de ça.

Les personnages défendent l'idée de dire la vérité tout le temps comme solution à tous les problèmes.

C'est comme les AA : là, un groupe de menteurs anonymes qui jurent de dire dorénavant la vérité, toute la vérité. Jean dit se réfère au jeu enfantin qui consiste à faire agir les participants en précédant une commande de l'expression « Jean dit ». Jean devient une référence, une entité ou un être supérieur, même s'il n'existe vraisemblablement pas. Au départ de l'écriture, Jean existait, mais c'est comme montrer Dieu sur scène. C'est beaucoup plus fort quand on ne le voit pas et qu'il est dans notre tête.

C'est donc une pièce qui parle de religion ?

Des citoyens viennent nous livrer leurs aveux et leur définition de la vérité, mais, tout au long de la pièce, on reste sur nos gardes par rapport à cet endoctrinement. En même temps, ces gens-là posent aussi de bonnes questions sur la société. Qui n'a pas envie de vivre dans un monde plus sincère et plus honnête ? Pour moi, Jean dit, c'est aussi une succession de fantasmes. Par exemple, qu'un politicien soupçonné de corruption vienne nous avouer tous ses mensonges.

La pièce ne parle pas directement des réseaux sociaux, mais c'est dans le sous-texte...

On vit dans cette société-là. Si on regarde Facebook, les médias sociaux, le human interest, le people dans les médias, ce n'est pas parce qu'une personne pleure qu'elle nous dit la vérité. Dans le fond, la vision des disciples de Jean, c'est que la vérité, c'est « moi », mes perceptions, mes sens. Jean dit que la vérité est dans l'expérience personnelle. Il y a quelque chose de dangereux là-dedans. Ça devient quoi, la vérité, s'il n'y a plus rien d'objectif ? Si tout est perceptif et subjectif ? La pièce témoigne de mon inquiétude face à des mouvements comme ceux-là, qui s'emparent de « la » vérité de cette manière. Où cela peut-il nous mener d'un point de vue social et politique ?

La recherche de vérité, de sens, c'est tout ce qu'il y a de plus humain, non ?

Avec la disparition de Dieu et de la spiritualité dans nos sociétés, je pense, il y a eu un appel d'air et on reste toujours sans réponse. Ça fait en sorte qu'on se met à épouser des pensées violentes ou autres pour atteindre un autre stade de la vérité qui vient comme une réponse. Je voulais aller le plus loin possible dans cette logique-là. Pour moi, les disciples de Jean gagnent. Je suis allé vers la foi, l'inexpliqué et le mystère, ce que je ne croyais pas faire au début. J'ai écrit une messe sans le savoir.

Et pourquoi la musique death metal ?

Mon choix était intuitif. On a intégré le band de death metal pour la théâtralité, pour la radicalité de la forme, sans concession. La vérité, pour moi, c'est aussi la présence de la musique sur scène et au théâtre. Elle ne s'adresse pas à la même dimension de l'être que le texte. [...] La musique aussi, c'est la communion, le rituel. Le death metal est une inversion des symboles religieux. Je trouve intéressant de prendre une musique qui est toujours restée dans l'underground. [...] Pour moi, c'est autant un show de musique que de théâtre.

Le constat n'est-il pas un peu désespéré ?

Le fait qu'en 2018 des artistes se rassemblent pour porter cette parole, il est là l'espoir. Il est dans la représentation théâtrale, dans la non-messe de la rencontre entre les acteurs et le public. C'est ça qui crée des étincelles, une lumière. L'espoir, c'est d'apporter potentiellement un élément de réflexion qui donne de quoi dans ta vie. C'est réaffirmer le temps présent du théâtre. C'est peut-être ma vérité à moi, mais c'est de m'adresser à toi comme à un être sensible, intelligent, créatif, capable d'imaginer et de réfléchir sur le monde. [...] Le désespoir est dans le divertissement de masse. Divertir, comme une technique de guerre, faire diversion, c'est ça, le désespoir.

Au Théâtre d'Aujourd'hui du 20 février au 17 mars

Photo Valérie Remise, fournie par le Théâtre d’Aujourd’hui

Étienne Gallo, batteur, en répétion de Jean dit

Photo Valérie Remise, fournie par le Théâtre d’Aujourd’hui

Olivier Choinière dirigeant les répétitions de Jean dit