L'absence de diversité sur les planches a marqué la saison théâtrale 2016-2017. Après le dossier que lui a consacré La Presse l'automne dernier, le sujet était sur (et dans) toutes les langues. Les choses changent en coulisses. Grâce au Conseil des arts de Montréal, six théâtres ont accueilli des stagiaires issus de la diversité cette année. Nous les avons rencontrés.

En cette année marquée par la question de la diversité sur les planches, les directeurs de théâtre sont unanimes: le programme de stages DémART tombait à point et l'expérience a été bénéfique pour leurs institutions. Après ce premier essai, ils comptent miser sur le programme du Conseil des arts de Montréal (CAM) à nouveau dans l'avenir.

Théâtre Denise-Pelletier

 «Maria [Carvajal Martinez] était parfaite pour le programme, elle a été extraordinaire, lance le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant. Elle a accompagné Simon Guilbault aux décors et Linda Brunelle aux costumes sur L'avare. Elle était aussi de la production d'Antigone au printemps. Elle est très solide. On l'a trouvée tellement intéressante que c'est sûr qu'on va retravailler avec elle.»

Claude Poissant est un habitué des stages. Il a eu comme assistants par le passé des professionnels comme Hugo Bélanger, Vincent-Guillaume Otis, Alexia Bürger et Eugénie Beaudry. «J'en prends sur presque tous mes spectacles. Mon tout premier a été Hugo en 1999 sur Lorenzaccio.» 

Duceppe

Même son de cloche chez Duceppe où la compagnie a travaillé avec la comédienne marocaine Houda Rihani, une vedette dans son pays, inconnue ici. Elle a travaillé sur les productions Ne m'oublie pas et Harold et Maude, en plus de siéger au comité de lecture.

«On va convier les gens du milieu théâtral pour la faire connaître, annonce la directrice générale Louise Duceppe. On veut faire des auditions ouvertes à l'avenir. C'était dans l'esprit de mon père, faire de Duceppe un théâtre accessible à tous. Il faut faire en sorte que ça bouge.»

Louise Duceppe cite en exemple la pièce Race de David Mamet, présentée l'an dernier et qui sera en tournée en 2018. «On veut attirer un nouveau public. Quand on a fait des matinées scolaires avec Race, on a vu que les jeunes sont heureux de retrouver l'un des leurs sur scène. Quand Frédéric Pierre parlait en créole, le plafond a quasiment sauté.»

Imago

Du côté d'Imago, théâtre engagé s'il en est, Micheline Chevrier ne tarit pas d'éloges envers l'initiative du CAM.

«Cela s'est très bien déroulé avec Nora [Zarkandi]. Ça fait partie de notre mission d'accompagner des artistes femmes. Comme elle vient d'ailleurs, ça nous a permis de développer de nouvelles perspectives. Ce programme offre une communauté artistique à quelqu'un qui n'en a pas. Il faut continuer de lui offrir cette communauté après la fin du programme.»

Dotée d'une longue expérience théâtrale tant en anglais qu'en français, la directrice d'Imago constate toutefois qu'il y a encore du chemin à faire du côté francophone pour accueillir la diversité sur scène.

«Du côté francophone, le milieu est déjà saturé, dit-elle. Le débat est commencé, mais la diversité n'est pas assez représentée, ni à l'écriture ni sur scène. C'est plus avancé du côté anglophone. Le programme du CAM peut aider à créer cette ouverture souhaitée des deux côtés.»

Langue et expérience québécoises exigées

Ils se font dire qu'ils ont un accent, qu'ils n'ont pas d'expérience «québécoise»... Pourtant, la majorité d'entre eux exercent leur profession depuis des années. Ce sont les artistes de la diversité. Nous les avons rencontrés au milieu d'un stage de six mois, DémART, une initiative du Conseil des arts de Montréal.

Aki Yaghoubi

Pays d'origine: Iran

Discipline: théâtre

Organisme d'accueil: Teesri Duniya Theatre

«Je suis chanceuse, parce que c'est une troupe qui est sensible à la diversité. Je travaille à la rédaction de ma propre pièce. Il y aura une lecture privée en juillet et une publique en septembre. La troupe aimerait me garder, mais elle n'a pas d'argent. Le programme devrait comprendre un suivi de stage. Je ne suis pas si optimiste parce que les théâtres sont quelque peu racistes, à mon avis. Je ne suis pas venue ici pour me battre. J'ai confiance en moi, j'ai du talent. Je ne devrais pas avoir à travailler comme réceptionniste dans un hôtel. J'ai fait une audition et on m'a refusée à cause de l'accent. Pourquoi mon accent passe-t-il en société, mais pas sur une scène? Le théâtre ne reflète pas la société québécoise. C'est pour ça que les immigrants ne vont pas au théâtre. Et pourquoi y a-t-il un combat entre les théâtres francophones et anglophones? S'ils continuent à se battre entre eux, ils ne seront jamais prêts à nous accueillir.»

Meriem Achour-Bouakkaz

Pays d'origine: Algérie

Discipline: cinéma

Organisme d'accueil: Main Film

«Le stage m'a permis de diversifier mon expérience et de réseauter dans le milieu montréalais. Je vais faire un court métrage documentaire de médiation culturelle avec un organisme communautaire. L'avenir est angoissant. Immigrer, c'est recommencer ailleurs ; personne ne peut le faire à notre place. C'est notre part. Une autre part appartient aux institutions, mais je crois que la société est beaucoup plus ouverte que les décideurs.»

Nora Zarkandi 

Pays d'origine: Iran

Discipline: théâtre

Organisme d'accueil: Imago Theatre

«J'ai été mise en contact avec des gens de Montréal et de Toronto. Je ne sais pas ce qui arrivera après le stage et ça m'angoisse un peu. J'ai beaucoup travaillé sur le sujet des femmes et des problématiques féminines. Le CAM devrait y réfléchir : vous me donnez un cadeau, mais tout disparaît après six mois. Le problème, c'est toujours l'argent. Je ne sais rien des compagnies francophones. Dans mon pays, j'étais actrice. Ce n'est pas juste un travail, c'est ma vie!»

Maria Carvajal Martinez

Pays d'origine: Espagne

Discipline: théâtre

Organisme d'accueil: Théâtre Denise-Pelletier

«Personnellement, après deux ans sans rien faire au théâtre, le stage m'a redonné confiance en moi-même. Devant une nouvelle langue et une nouvelle culture, je me disais qu'il fallait abandonner le théâtre. Mais là, je peux y croire de nouveau. Des artistes qui ont beaucoup d'expérience me demandent conseil, alors je me sens grandie. Je cherche d'autres stages pour continuer à apprendre et à faire ce que j'aime.»

Abdallah Bailout

Pays d'origine: Maroc

Discipline: théâtre

Organisme d'accueil: Volte 21

«Volte 21 est un organisme différent des autres troupes à tous les niveaux. Je suis chanceux, car j'ai débuté avec deux projets comme scénographe. En parallèle du stage, j'ai fait une formation pour aider à la fiscalité des travailleurs autonomes et des demandes de bourses artistiques. Comme artiste plasticien, je peux faire mes expositions et rester dans les arts. Je ne crois pas que la difficulté vienne du système, mais des personnes. Nous arrivons ici avec 10 ans d'expérience et on nous dit que ça prend une expérience québécoise.»

Ayam Amy Yaldo

Pays d'origine: Irak

Discipline: art numérique

Organisme d'accueil: Perte de signal 

«Le stage m'a permis de travailler avec de nouveaux matériaux. J'ai fait des études en art numérique, mais là, j'aime travailler avec mes mains: le métal et le bois, entre autres. Cela m'a permis de trouver des ateliers. C'est une belle découverte pour moi. Je vais continuer mes études à la maîtrise à Concordia.»

Olena Khomyakova

Pays d'origine: Ukraine

Discipline: théâtre 

Organisme d'accueil: Théâtre de l'Avant-Pays

«J'ai travaillé comme assistante à la mise en scène pour le spectacle pour enfants Partout ailleurs. Cela m'a permis d'apprendre les manières de travailler ici, comment on fait, à qui on parle, etc. Pour moi, c'est comme une nouvelle formation. Je suis aussi assistante à la mise en scène pour un spectacle destiné aux adolescents. À la fin de mon stage, je vais proposer mon propre projet comme marionnettiste et je pourrai montrer mon travail aux compagnies. C'est une carte de visite concrète, vivante.»

Houda Rihani

Pays d'origine: Maroc

Discipline: théâtre 

Organisme d'accueil: Duceppe

«J'ai toujours refusé de faire des rôles voilés chez moi au Maroc, mais ici, je l'ai fait puisque je n'ai que de petits petits rôles. Chez Duceppe, j'ai eu la chance d'assister aux répétitions de Ne m'oublie pas et d'Harold et Maude et de rencontrer tous les gens de ces productions. J'ai eu de bons échanges. Puis, je vais faire une lecture dans une salle de la Place des Arts [les 19 et 20 juin]. Le stage, ce sera la fin d'une lune de miel. Je passe des auditions. L'État pourrait exiger des quotas de la diversité pour les chaînes de télé subventionnées aussi. J'ai un accent, mais je suis québécoise. Pourquoi m'écarte-t-on quand il s'agit de télévision ou de théâtre? Je suis optimiste malgré tout. Il y a une grande diversité culturelle à Montréal, il faut la voir sur scène.»

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Aki Yaghoubi

«On n'a pas les moyens ici de perdre des talents comme les leurs»

La directrice du Conseil des arts de Montréal (CAM), Nathalie Maillé, se dit heureuse des échos positifs du programme DémART, un système de stages rémunérés de six mois qui répond à un besoin criant dans les arts.

Ça fait déjà un moment qu'existe le programme DémART, comment cela a-t-il, justement, «démarré»?

La première politique de la diversité au CAM date de 2005, suivie d'un plan d'action en 2008. On a fait un premier projet-pilote en 2011-2012, donc c'est la sixième présentation cette année. Le nombre de stages est en augmentation. On comprenait bien la dynamique des artistes issus de l'immigration. On sentait que le milieu subventionné voulait, mais ne l'exprimait pas. Donc, on a construit des ponts avec le programme. Accueillir exige à la fois du temps et de l'argent, qui va à l'artiste soit dit en passant.

Le manque de diversité est réellement une problématique sur les planches à Montréal. Vous tombiez à point cette année avec six des neuf stagiaires en théâtre? 

Enfin, je dirais, on récolte. La bonne nouvelle, c'est que le programme vise juste. Il a été longtemps mûri et adapté. On a de belles histoires avec des stagiaires devenus DG d'organismes ou qui ont créé des compagnies et qui accueillent maintenant des stagiaires de DémART. On boucle la boucle!

Est-ce que le programme suffit en ce moment ? Peut-il accueillir plus de stagiaires?

Une centaine de compagnies différentes ont fait des demandes en six ans. Ce qui est intéressant, c'est de voir cette année des institutions comme Duceppe et Denise-Pelletier participer. La diversité reste une de nos priorités au CAM. On compte aller plus loin en parlant de représentativité et d'équité. C'est un programme qu'on souhaite bonifier, c'est sûr!

Les stagiaires semblent craindre, cependant, l'après-stage et ce qui peut ou pas les attendre?

Les jurys qui sélectionnent les projets recherchent des organismes qui ont la possibilité de retenir les stagiaires. C'est une chose. Et on réfléchit beaucoup à ce qu'on peut faire après pour continuer à les soutenir pour une raison fort simple : on n'a pas les moyens ici de perdre des talents comme les leurs. Nous, on recherche la continuité.

Photo Nathalie Saint-Pierre, fournie par le CAM

«[Le programme DémART] a été longtemps mûri et adapté», affirme la directrice du Conseil des arts de Montréal (CAM), Nathalie Maillé.