Marc Beaupré et François Blouin, qui nous ont offert les étonnants spectacles Caligula_remix et Dom Juan_uncensored, sont de retour avec Hamlet_director's cut, pour lequel ils ont transformé le chef-d'oeuvre de Shakespeare en solo, et où Hamlet sera entouré des ombres des personnages qu'il créera lui-même par la capture de mouvements. Comment entrer dans la tête du personnage le plus célèbre de l'histoire du théâtre ?

DUO CRÉATIF

Marc Beaupré et François Blouin, deux amis d'enfance, ont créé ensemble la compagnie Terres des hommes, qui en est à sa troisième production avec Hamlet_director's cut. Deux parcours différents et une même passion pour la création qui font de ces deux-là une usine à idées. Tandis que Marc Beaupré a suivi le cursus plus traditionnel de la formation théâtrale à l'École nationale de Théâtre sous André Brassard, François Blouin est allé de son côté vers le cinéma, pour évoluer ensuite vers des spécialisations techniques qui l'ont fait travailler autant dans la pub que chez Ubisoft et au Cirque du Soleil. Chez eux, les grands classiques et les nouvelles réalités technologiques se rencontrent. Ainsi, ils nous ont offert Caligula_remix d'après la pièce d'Albert Camus, audacieuse adaptation sous forme de chorale dirigée par un DJ, et Dom Juan_uncensored, d'après l'oeuvre de Molière, qui était retransmise en direct sur Twitter. « La base de notre compagnie, résume Marc Beaupré, c'est une volonté de prendre un fond classique et de lui donner une forme résolument moderne. »

HAMLET SUPERSTAR

Existe-t-il une figure théâtrale plus célèbre que celle d'Hamlet imaginée par Shakespeare il y a plus de 400 ans ? « Ç'a toujours été le grand symbole de la raison, explique Marc Beaupré. L'arrivée sur scène de la raison moderne. Pour moi, c'est précieux, c'est la base de la curiosité, de la connaissance, du doute. Une espèce de "package" que je désespère donc de voir dans la société... » Pour François Blouin, « c'est l'image même de quelqu'un qui se bat pour ne pas devenir fou, ou qui est peut-être déjà fou et qui veut retrouver la raison. Il est clairement dans une tentative d'équilibre entre les deux. Ç'a toujours été ça, un personnage habillé en noir, seul, qui rôde sur les remparts en philosophant. Il y a aussi l'Hamlet avec Mel Gibson, mais je n'arrive pas à me rappeler si j'ai aimé ça... » S'attaquer à ce monstre sacré du théâtre ne les intimide pas du tout. « Pantoute ! », précise même Marc Beaupré. « René-Daniel Dubois, qui est un peu notre mentor, nous a dit qu'on ne trahit jamais une oeuvre si elle nous bouleverse et si nous voulons traduire ce bouleversement et le transmettre à d'autres. Je pense à ce que cela représente et ça m'émeut aux larmes. Je ne sais pas si c'est ce que cela va faire aux gens. »

ALLER À L'ESSENTIEL

Hamlet_director's cut sera un solo, interprété par Marc Beaupré, dirigé par François Blouin. Les deux créateurs ont voulu se concentrer sur le moment de la pièce originale où Hamlet monte lui-même une pièce racontant son drame - son père a été assassiné par son oncle qui a séduit sa mère - afin de piéger son oncle. Le « director's cut » réfère à Hamlet, metteur en scène de sa tragédie. « Et cette tragédie lui a été racontée par un fantôme, ce qui est assez particulier pour quelqu'un qui a la raison comme valeur principale, souligne Marc Beaupré. Nous sommes partis de ces deux qualités : le metteur en scène et l'homme qui doute. Mais nous l'avons dépossédé d'interlocuteurs et le doute est beaucoup transféré au spectateur. »

Ce qui signifie aussi une grande transformation du texte, qui contient une trentaine de personnages. « Nous avons pris la traduction que Jean-Marc Dalpé avait faite pour le TNM en 2013, je pense qu'il avait coupé à peu près la moitié du texte original qui fait quatre heures, et nous, du texte de Dalpé, on a dû prendre le dixième. » « C'est comme si on rentrait dans la tête de quelqu'un qui réfléchit sur sa propre vie, poursuit François Blouin. Une fois qu'il aura fait du sens, il va tenter de décider quelle action il va commettre. Doit-il se venger, est-ce que cela a du sens de vivre, de mourir, de se suicider ? Dans le fond, c'est un spectacle où on voit quelqu'un qui est en train de se questionner et de vivre à travers ses pensées, et nous, concrètement, nous allons montrer ses idées, ses hypothèses. »

HAMLET - TECHNIQUE

Nous avons rencontré Marc Beaupré et François Blouin dans un local de répétition de l'est de Montréal, alors qu'ils étaient en train de peaufiner les détails de la mise en scène avec leur équipe. Ce qui fera la particularité de cette adaptation sera l'usage de la capture de mouvements, utilisée principalement au cinéma - mais en direct pour les besoins du théâtre !

Ainsi, Marc Beaupré ne doit pas dépasser des limites tracées au sol pour rester dans l'angle de la caméra qui capture ses mouvements, et qui serviront ensuite à l'entourer de fantômes rudimentaires qui bougeront autour de lui. « Hamlet a toujours cette image récurrente du meurtre de son père qui l'obsède, explique Blouin. Tous les personnages, c'est lui qui les joue. C'est toujours lui qui est en train de créer les silhouettes et les mouvements qui vont mettre en images tous les personnages. Cela nous permet de mettre en forme un être humain, seul, face à un monde d'images. »

« Habituellement, les concepteurs qui utilisent cette technique travaillent des mois, tandis que nous, on a fait le pari de le faire en direct », note Beaupré, qui avoue trouver son projet un peu fou dans son exigence, puisqu'il sera le seul interprète et le créateur de mouvements en même temps.

À VENIR : L'ILIADE

L'imagination foisonnante et l'audace formelle de Beaupré et Blouin se poursuivront l'an prochain avec l'adaptation de L'Iliade d'Homère, texte fondamental de la culture occidentale. Ce sera la première coproduction de leur compagnie, et ils promettent quelque chose à grand déploiement. Il avait été question au début de livrer les vers d'Homère par le rap, mais « l'énergie était trop éloignée de l'esprit classique », estime Marc Beaupré. « Ce seront surtout des scansions rythmées. Cela va ressembler à des hakas maoris [les danses de guerre chantées des Maoris]. La musique va être omniprésente. C'est une bonne idée de traduire la guerre à travers les rythmes. Les gens se font raconter une histoire violente, mais ce qu'ils verront sur scène, ce sont 10 comédiens qui, même s'ils sont dans des camps opposés, racontent ensemble. Donc, ils font exactement le contraire de ce que la guerre représente comme désunion et adversité. » Marc Beaupré et François Blouin n'ont donc pas fini de métamorphoser les classiques...

Au théâtre La Chapelle du 3 au 14 avril