Caligula, empereur romain, vit un drame: sa soeur Drusilla, qui est aussi sa maîtresse, meurt, ce qui le plonge dans un pénible deuil. Confronté à l'absurdité de la vie, où même sa peine est éphémère, le despote constate que «les hommes meurent et [qu']ils ne sont pas heureux». Révolté, il terrorisera son peuple et le mettra devant une existence sans valeur. Entrevue avec Benoît McGinnis, qui incarne le tyran, et René Richard Cyr, qui signe la mise en scène de cette pièce forte d'Albert Camus.

Commençons par une question technique. En lisant le dossier de presse, si on comprend bien, c'est toi, Benoît, qui as contacté René Richard Cyr pour lui demander de faire la mise en scène de Caligula, que tu voulais proposer à Lorraine Pintal, directrice artistique du TNM. Es-tu rendu « big » de même, c'est-à-dire que tu choisis en amont ta pièce, ton metteur en scène et le théâtre où tu veux jouer?

Benoît McGinnis: (Rires) Non, ce n'est pas exactement ça. J'ai souvent travaillé ici, au TNM, je connais bien Lorraine et Caligula est un texte que je gardais dans ma banque stand-by. Un moment donné, je me suis rendu compte que je n'avais pas de théâtre qui s'en venait. En parlant avec René Richard, on s'est dit que ça serait le fun de faire un show avec un rôle plus consistant pour moi. On est allés voir Lorraine pour lui présenter notre projet et elle nous a acceptés dans son théâtre.

Parlez-moi du lien créatif et artistique qui vous unit. D'où vient cet intérêt pour travailler si souvent ensemble?

BM: René Richard m'a engagé une première fois quand je suis sorti de l'École nationale de théâtre, en 2001, pour un rôle dans Titanica de Sébastien Harrisson au Théâtre d'aujourd'hui. Depuis, en 15 ans, on a fait 12 productions ensemble. Toutefois, au départ, j'étais très timide. On n'a pas eu à ce moment-là une grande rencontre.

René Richard Cyr: La première fois que j'ai vu Benoît jouer, c'était à l'École. Il chantait une chanson dans une création en pattes d'éléphant et je me suis dit: «C'est qui, ce gars qui a une telle aisance, qui n'a pas peur du ridicule et dont le corps suit la voix?» Je l'ai donc engagé sur Titanica, mais à la fin, je lui ai dit: «Je ne te connais pas, dans le sens où tu as été tellement sage, justement comme un petit gars qui sort de l'école.» Quand on s'est revus par la suite, il s'est souvenu de mon commentaire. Ça lui avait sonné une cloche. Il avait compris que j'étais prêt à partager une partie de la création avec les acteurs. C'est pour ça que j'ai continué à travailler avec lui, parce qu'il a réussi depuis à m'étonner chaque fois.

Justement, Benoît, c'est comment, travailler avec un metteur en scène comme René Richard, qui se dit ouvert aux critiques et aux commentaires créatifs de ses acteurs?

BM: C'est formidable parce qu'il y a un échange entre tout le monde. René Richard n'a jamais été un dictateur, c'est ça qui est intéressant. On peut remettre en question certaines décisions et discuter avec lui. On se sent impliqué.

RRC: Au début, il était timide, mais maintenant, il parle tout le temps! C'est rendu fatigant! (rires)

Parlons un peu plus de l'oeuvre, maintenant. Quand vous présentez Caligula, vous dites qu'il s'agira d'un spectacle «moderne». En travaillant avec un texte si fort, comment peut-on justement le moderniser, l'actualiser, sans dénaturer le propos de l'auteur?

RRC: Quand Camus s'est mis à écrire Caligula, en 1938, il était tout jeune. C'était la première pièce qu'il écrivait. Lui-même a continué à la retravailler pendant 20 ans en fonction du contexte politique de la Seconde Guerre mondiale. Adapter son texte à notre époque, c'est comme lorsqu'on fait une traduction d'une pièce de Shakespeare. Tu ne fais pas en 2017 la même traduction qu'en 1982. Dans une première version de Caligula, par exemple, Camus désigne l'entourage de l'empereur comme des sénateurs, plutôt que des patriciens. Pour nous, «sénateurs», ça résonne beaucoup plus ! Je n'ai donc rien inventé ni rien ajouté pour que ça fasse «moderne». Avec de grandes oeuvres comme celle-ci, il ne s'agit pas de les actualiser. Ce n'est pas du théâtre actuel, c'est du théâtre éternel.

Comment prévoyez-vous que le public recevra cette pièce et comment réagira-t-il aux thèmes, toujours actuels?

RRC: Tu sais, dans les petits moments de la vie où tu lis qu'on vient de découvrir sept nouvelles planètes, tu as comme un petit vertige et tu te demandes: «Coudonc, c'est quoi, ça, la vie?» À la mort de sa soeur, dont il est follement amoureux, Caligula se pose cette question de façon tragique. Il se rend compte que les hommes meurent et qu'ils ne sont pas heureux, mais que même son chagrin ne durera pas. Sa douleur est donc privée de sens. Face au grand vide existentiel, il se demande le pourquoi du bien et du mal, alors que nous ne sommes que bactéries. À cause de cette souffrance, Caligula, qui avait pourtant été bon, décide d'être libre envers et contre tous. Il est mort à l'espoir, mort à la vie, mais il ne veut pas se tuer. Il fait donc tout pour se faire tuer en se disant: «Jusqu'où vous allez me laisser aller trop loin?» À la fin, parce que Camus écrivait aussi dans son contexte politique, celui de la Seconde Guerre mondiale, l'auteur répond à cela qu'on ne peut pas être libre contre les autres. Tu peux juste être libre en disant: «Venez avec moi, on va être libres ensemble.»

BM: Moi, je vois aussi la pièce comme une grosse crise chez un humain qui déclenche un nouveau mouvement dans sa vie. Si le gars n'avait pas perdu sa soeur, il aurait peut-être vécu de la bonne façon. Lui, il est tombé dans cette zone-là, [dans le mal], en vivant un choc terrible.

RRC: Je pense que les spectateurs vont voir sur scène un être humain qui vit un trouble et qui est presque vulnérable à la fin. En fait, on essaie de faire avec Caligula un thriller philosophique.

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Caligula, mis en scène par René Richard Cyr, mettant en vedette Benoît McGinnis, Macha Limonchik et Éric Bruneau, au Théâtre du Nouveau Monde, du 14 mars au 9 avril.