Mis à part les oeuvres de la «trinité» (Tremblay, Gauvreau et Ducharme), les anciennes pièces des auteurs québécois se font rares sur nos scènes nationales. Hors de la création, point de salut? Nous avons demandé à des connaisseurs si notre répertoire est bien servi.

Au Québec, un auteur qui a eu du succès est-il condamné à créer de nouvelles oeuvres pour ne pas disparaître? Telle est la question posée par notre directeur invité qui, par ailleurs, a près de 30 pièces au compteur.

«Larry a raison et tort à la fois, répond le metteur en scène Serge Denoncourt. Notre dramaturgie est jeune. On ne remonte pas au temps de Molière ou de Sophocle. Pour fouiller le répertoire, ça prend du temps, du recul, de la recherche. La société doit avoir changé, afin de jeter un nouvel éclairage sur une oeuvre.»

Lorraine Pintal croit aussi au facteur temps avant de recréer une pièce. Selon la directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), la poussière doit se déposer sur une oeuvre. Durant combien d'années? Vingt, vingt-cinq ans? «Il n'y a pas de chiffre magique», dit-elle. 

«Dans le cas de Being at home with Claude de René-Daniel Dubois, ça a pris près de 30 ans.»

Au début des années 80, Dubois était l'auteur montant du théâtre québécois, avec Michel Marc Bouchard et Normand Chaurette. Du trio, seul Bouchard reste dans l'actualité... et davantage pour ses adaptations (au cinéma, à l'opéra) ou ses productions à l'étranger que pour les reprises de ses anciennes pièces.

«En ce moment, la création d'oeuvres nouvelles génère chez les artistes, toutes compagnies confondues, grandes ou petites, plus d'appartenance, plus de liberté que les oeuvres de notre passé», explique Claude Poissant. Le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier souligne que notre répertoire est en compétition avec les dramaturgies étrangères peu jouées au Québec, et «qui participent à notre ouverture sur le monde».

L'attrait de la nouveauté

Dans un essai paru dans la revue Jeu, en 2001, le professeur de théâtre Gilbert David déplorait déjà «la propension des gens de théâtre» au Québec à faire de la quête de «la nouveauté pour la nouveauté la raison d'être de leur art».

Bon an, mal an, la place qu'occupe le répertoire québécois dans les programmations se limite souvent à la trinité (Michel Tremblay, Claude Gauvreau et Réjean Ducharme), avec aussi Gratien Gélinas et Marcel Dubé. «Ce qui est tout à fait symptomatique de la manière dont les directions artistiques conçoivent leurs mandats», écrivait David.

Selon lui, il faut que les compagnies bâtissent leurs saisons en misant sur des pièces à succès, événementielles, profitables.

Si Lorraine Pintal reconnaît que le public québécois s'identifie à ses classiques, le mandat et «la force du TNM, c'est l'équilibre dans sa programmation».

Justement, selon Serge Denoncort, «l'un des problèmes au théâtre», c'est que toutes les compagnies cherchent à trouver l'équilibre dans leur programmation. «Au final, elles finissent par avoir presque toutes la même identité.»

Entre répertoire et création québécoise, le conseiller dramaturgique du Centre des auteurs dramatiques (CEAD), Paul Lefebvre, ne tranche pas. À ses yeux, «l'attrait de la nouveauté est sain» pour un peuple de 8 millions de personnes, dont la langue perd constamment du terrain. «Le danger, c'est que ce désir de créer nous empêche d'entretenir des liens avec les auteurs du passé», nuance-t-il.

Le mélange des genres

Selon Claude Poissant, les théâtres de répertoire et de création s'influencent l'un l'autre. «Comme dans le mélange des générations, il y a un désir de passation et, de l'autre côté, la nécessité de l'air du temps, la perpétuelle remise en question.»

En mai dernier, lors d'une conférence au TNM, Robert Lepage a avancé l'idée d'un nouveau lieu uniquement consacré au théâtre de Michel Tremblay; à l'instar du Globe, à Londres (consacré à Shakespeare), ou du Berliner Ensemble (voué à Brecht et aux classiques européens).

«Il y a le répertoire déjà nommé, éprouvé; et le répertoire auquel il est préférable de proposer des relectures fortes, explique Poissant; puis, il y a des oeuvres rarement remontées - Loranger, Carole Fréchette, Jean-Claude Germain, Jean-François Caron...»

«Il faut trouver le bon moment pour conjuguer une oeuvre avec une vision, en trouver la pertinence, la remettre en contexte, convaincre producteur et diffuseur, et tout ça dans une ère où il faut être sexy et subventionnable, ce n'est pas une mince affaire», avoue Claude Poissant, metteur en scène.

Serge Denoncourt abonde dans le même sens. «On ne cesse de dire que la vie est dans la création, qu'il faut créer l'événement. Il y a des pièces qui ont eu du succès à leur création et qui ont mal vieilli. Des textes, comme Médium saignant de Françoise Loranger, qui s'adressent à une époque précise. Toutefois, je suis persuadé que dans 10 ou 20 ans, on va redécouvrir et produire une pièce de Normand Chaurette.»

Laissons donc le temps au temps.

Des classiques

De Michel Tremblay: Les belles-soeurs; À toi, pour toujours, ta Marie-Lou; Albertine, en cinq temps

De Réjean Ducharme: Ha ha!...; Ines Pérée et Inat Tendu

De Marcel Dubé: Un simple soldat; Les beaux dimanches

De Gratien Gélinas: Bousille et les justes; Tit-Coq

De Claude Gauvreau: Les oranges sont vertes; La charge de l'orignal épormyable

De Michel Marc Bouchard: Les muses orphelines et Les feluettes

Et des oubliées...

Des pièces québécoises, créées entre 1960 et 1990, qu'on aimerait bien voir montées de nouveau: 

Une maison... un jour... de Françoise Loranger; L'exécution de Marie-Claire Blais; La gloire des filles à Magloire d'André Ricard; Les célébrations de Michel Garneau; Anaïs, dans la queue de la comète de Jovette Marchessault; Le syndrome de Cézanne de Normand Canac-Marquis; Les quatre morts de Marie de Carole Fréchette; Syncope de René Gingras; Les reines de Normand Chaurette; Billy Strauss de Lise Vaillancourt; Abraham Lincoln va au théâtre de Larry Tremblay; Vie et mort du roi boiteux de Jean-Pierre Ronfard...