Abonné des grands classiques, Serge Denoncourt signe cette fois-ci la mise en scène de Roméo et Juliette, oeuvre de Shakespeare qu'il rêvait de monter depuis 25 ans. Il offrira ainsi sur les planches du Théâtre du Nouveau Monde sa version de cette mythique tragédie romantique, avec comme toile de fond une Italie des années 30 aux prises avec la montée du fascisme. Entretien avec le metteur en scène.

Pourquoi avoir choisi de situer l'action de votre Roméo et Juliette à la fin des années 30?

Je n'avais pas envie de le faire en collants, mais je n'avais pas non plus envie de le faire en jeans. Ce n'est pas West Side Story! Dans Shakespeare, ce sont des familles véronaises extrêmement riches. Il m'est venu cette image des grandes familles bourgeoises, de cette aristocratie italienne des années 30 qui allait dans des lieux de villégiature, jouait au tennis, faisait du vélo et organisait des réceptions pendant que le fascisme montait, que la guerre se préparait et que l'Italie se refermait sur elle-même. Ces gens ne se rendaient pas compte de tout cela. Je trouvais que c'était une bien plus belle métaphore que si je les avais mis en jeans.

Quelle résonance ce classique de Shakespeare trouve-t-il à notre époque, d'après vous?

Comme le public est intelligent, il comprendra qu'on parle aussi de la montée de l'extrême droite en filigrane. Si on veut même extrapoler, on parle de Trump dans cette pièce! C'est une société qui s'amuse et se débat. On comprendra aussi que Tybalt est une chemise noire, que les Montaigu ne sont pas fascistes et que le prince de Vérone est un ersatz de Mussolini. Pendant ce temps-là, la face du monde va changer. Pendant que Roméo et Juliette s'aiment et espèrent changer le monde, ils ne changent rien du tout!

Et l'amour dans tout ça?

C'est peut-être le pire quand on monte cette pièce: on parle toujours de cette histoire d'amour et pourtant, la position de Shakespeare est que l'amour ne sauve pas le monde. Roméo et Juliette vont tenter de réunir leurs deux familles, ce qui est une métaphore du monde dans lequel on vit, de dire: si on s'aime, les autres vont s'aimer. Malheureusement, non. C'est une grande pièce romantique, mais c'est aussi une tragédie. Le point final est que leur projet de sauver l'humanité n'a pas fonctionné. Je pense que comme adolescent, quand tu vois la pièce, ça te touche énormément, mais comme adulte, tu as ce regard sur l'adolescent que tu as été. Adolescent, j'ai pensé changer le monde. Et je sais maintenant que c'est impossible: on peut changer deux ou trois êtres humains autour de nous, mais c'est tout ce qu'on peut faire.

Un de vos personnages préférés de Roméo et Juliette est Mercutio, incarné ici par Benoît McGinnis. Pourquoi?

Les spectateurs aiment beaucoup Roméo et Juliette. Les gens de théâtre aiment plutôt Mercutio, un personnage qui meurt assez rapidement, mais qui est très difficile à jouer. Il passe à travers différentes émotions. Je l'ai joué quand j'avais 27 ans, tout comme Antoine Durand [Capulet dans cette distribution]. C'est une des partitions les plus complexes et les plus courtes à jouer, mais elle est aussi très payante au théâtre. C'est rare d'avoir un rôle de jeune acteur avec une telle profondeur. Souvent, on va avoir de jeunes premiers, de jeunes amoureux, mais cette détresse intérieure là, cette pulsion de mort tout en faisant le clown prend un très bon acteur et un metteur en scène inspiré pour ne pas refaire ce qui a été fait avant. C'est un défi pour Benoît comme pour moi.

Pourquoi avoir choisi de mettre de l'avant l'ambiguïté sexuelle de Mercutio?

L'ambiguïté sexuelle de Mercutio est très claire chez Shakespeare. L'amour ou le désir qu'il a pour Roméo est dit: il parle de désir pour Roméo, il est triste quand il part avec une femme. Roméo est tout son univers. Je n'ai pas fait de relecture de Shakespeare. On peut décider de le jouer un peu ou beaucoup. Moi, j'ai choisi de le faire beaucoup, au point où il est habillé en femme pour aller au bal. Ce n'est pas une vision homosexuelle de la pièce: c'est la pièce! À 27 ans, j'avais abordé le personnage de cette manière et Baz Luhrmann a fait la même chose dans son film.

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Au TNM du 21 juillet au 18 août.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Serge Denoncourt